Dans la précédente partie je vous ai parlé de la genèse de la CR 250 Elsinore. Au fil des décennies, la CR va faire grandir sa légende et son palmarès, avec un âge d’or au milieu des années 80. Honda va apporter des innovations qui vont nous impacter encore aujourd’hui. Heureusement, Nicolas Jarreau est un excellent conservateur et a résumé 50 ans d’histoire en quelques dates clés : « Pour moi, il y a cinq grandes phases ».
La révolution Pro-link
La première génération a été une rupture technologique pour une moto de série : un réservoir en aluminium, une première mondiale, du magnesium partout et de l’acier haut de gamme. Surtout, Honda parvient à rendre accessible une moto proche des prototypes de course, tout en gardant des prix raisonnables. La CR sera un succès populaire.
Les années 80 vont marquer la montée en puissance des motos japonaises quand les marques européennes vont commencer à décliner. Techniquement le fossé va se creuser très vite.
En 1981, c’est la première grosse évolution pour la Elsinore, avec l’apparition du moteur à refroidissement liquide et surtout du mono amortisseur baptisé Pro-link. À l’époque, les Japonais se livrent une bataille de l’innovation et chacun sort sa version du mono amortisseur : Yamaha le baptise Cantilever, Suzuki Full-Floater et Kawasaki Unitrack.
« Sauf que dès le début, le Pro-link se démarque. Honda a trouvé la solution tout de suite. Et depuis, il y a du Pro-link partout, encore aujourd’hui ! », raconte Nicolas.
1986 : la série plus forte que l’usine
Nous voilà en 1986, Honda est à fond sur le marché américain. « Ça tombe bien, le HRC est au top, tous les pilotes veulent rouler Honda », raconte Nicolas. En 1985, les motos rouges dominent outrageusement le championnat de motocross américain. Les officiels décident de changer la réglementation pour rééquilibrer les forces et handicaper la marque, c’est la “production rule”. « Il faut que la moto engagée, soit issue d’un modèle de série. Sauf que Honda est ravi de l’idée et en 1986, la domination est encore pire ! », s’amuse Nicolas.
À ce moment-là, nous arrivons devant 2 machines de l’exposition : la version « production rule » US et le prototype pure compétition européen. « Regardez-la ! Avec ses jantes en or, c’est la plus belle ! », s’exclame Nicolas Jarreau devant l’Américaine.
En fin de saison, arrive le motocross des nations de 1986. Chaque pays envoie ses 3 meilleurs représentants des différents championnats mondiaux, la coupe des coupes diraient les footeux. L’épreuve se déroule en 3 manches et mélange les cylindrées 125, 250 et 500 cm3. Cette édition italienne qui se déroule à Maggiora est un festival Honda, qui signe un doublé sur chaque manche.
Mais une légende ne se contente pas de si peu. Johnny O’Mara, sur sa CR 125 version US, donc issue de la production de série, va venir bousculer Dave Thorpe, double champion du monde en titre en 500 cm3. Le Britannique est sur une moto pure compétition de 500 cm3 du HRC mais se fait remonter par O’mara qui le dépasse dans les derniers instants de la course. « Thorpe est humilié. Il va rester célèbre pour s’être fait dépasser par une 125 cm3, alors qui possède plusieurs titres de champion du monde ! », raconte Nicolas.
Le cadre aluminium qui a fait fuir Jeremy McGrath.
Si les années 80 sont marquées par la domination outrageuse de Honda, la fin des années 90 sera plus difficile et marquera le déclin de la CR. Honda introduit des innovations techniques comme à son habitude, mais elles n’auront pas le même succès que les précédentes.
En 1997, Honda sort le premier cross de série avec un cadre alu. Ce cadre est déjà connu sur route, puisqu’il s’agit du Delta box. « Il offre beaucoup de rigidité, ce qui est bien pour la route, mais qui en fait un motocross un peu trop dur. C’est une moto pointue et élitiste à conduire », explique Nicolas, « à tel point que Jeremy McGrath n’en veut pas ! La star américaine préfère même partir chez Suzuki ! ».
Une moto ambivalente qui trouve le chemin du succès entre les mains de Stefan Everts. Le Belge devient champion du monde en 1997 de la catégorie reine 250 cm3 avec sa CR. Mais la victoire est en demi-teinte, la même année Yamaha sort le premier moteur 4-temps nouvelle génération et commence a marcher fort, « ça va faire du mal à Honda, les concurrents montrent que la technologie est bonne désormais ».
4-temps trop tard
Honda était un pionnier du 4-temps dans les années 70, mais tarde à s’y remettre vraiment en 2002 alors que la concurrence prend de l’avance. Finalement le 2-temps disparait en 2007. Mais Honda est battu sur son propre terrain par Yamaha et la CR n’est plus que l’ombre d’elle-même.
La CR-F (pour Four-stroke) peine à convaincre. Et certains « puristes » estiment que la CR a disparu avec le 2-temps. La légende appartient-elle désormais aux livres d’histoire ?
La CR a laissé une trace énorme dans la culture moto. « Honda a créé un engin dont les qualités sont encore reconnues aujourd’hui. 50 % des motos engagées sur le Touquet Vintage ce sont des CR », fait remarquer Nicolas, « c’est la marque la plus représentée, celle que l’on prend pour être sûr de la fiabilité et de la prise en main ».
Le succès de la CR, c’est l’ADN Honda qui est à l’intérieur, « Tout est bien pensé, bien assemblé, à tel point que les disques de garniture d’embrayage de la 450 CR-F sont quasiment les mêmes qu’à l’époque de la Elsinore. Tout comme le Pro-Link qui est toujours là ! », conclu Nicolas.
Un héritage pas si lourd à porter
Le voyage dans le temps se termine. 50 ans d’histoire thermique. Alors quel peut être le futur pour la CR ? Honda a présenté en 2019, la CR-E, un motocross électrique. Mais les Japonais aiment prendre le temps pour développer une nouvelle machine et la moto se fait encore discrète.
Malin, Honda prépare déjà la future génération de pilotes, puisqu’ils peuvent se faire les dents sur une petite CRF-E2, la vraie première Honda électrique de série. Pour les grands, il va falloir attendre encore un peu, mais la CR aura bien un nouveau chapitre de sa légende à écrire.
Photos © Joris clerc
Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.