La Honda CR 250 Elsinore est une moto légendaire et un acte fondateur pour Honda. Un motocross qui a révolutionné le monde de la moto. Mais comment ? Pourquoi ? Au détour d’une balade dans les allées du salon de Lyon, j’ai soigné mon inculture.
Il y avait beaucoup de choses à voir à Lyon, le salon était immense, la foule était nombreuse. J’étais un peu perdu, en errance quand je suis tombé sur un troupeau de motos rouges. Téméraire, je me suis approché pour regarder. L’allure me semblait familière, et je pouvais les entendre vrombir dans mes oreilles. Nicolas Jarreau, le gardien du troupeau s’est approché de moi, avec un grand sourire sous sa belle moustache : « Tu ne connais pas les CR ? ».
Non j’avoue être inculte concernant l’histoire de cette moto, alors qu’elle est ancrée dans mon imaginaire. Nicolas a pris le temps de me raconter 50 ans d’histoire et d’évolutions au travers de la cinquantaine de CR rassemblées pour l’occasion par des collectionneurs. On a discuté, longtemps, donc je vais vous raconter la CR en deux parties. Pour le moment, revenons aux origines de la CR 250 Elsinore, l’acte fondateur.
Soïchiro Honda, le risque calculé
La CR, c’est l’histoire d’une marque qui décide de prendre un risque au début des années 70. Le constructeur japonais a bâti sa réputation et sa richesse sur la fiabilité à grande échelle. Honda maîtrise parfaitement le moteur 4-temps multicylindre
Mais depuis les années 60, la concurrence s’est tournée vers les moteurs 2-temps, « Pour Honda, le 2-temps, c’est sale, ça pue, c’est bruyant. Ça ne correspond pas à l’esprit japonais ! Mais l’appât du gain et la volonté de pénétrer le marché américain sont très forts, surtout pour ne pas se faire devancer par la concurrence », m’explique Nicolas un passionné qui fait office de conservateur pour cette exposition temporaire.
Alors, Honda décide de développer un prototype. En 1971, la 335A est conçue par une toute petite équipe, en secret. « Officiellement, ils ne l’ont pas dit au patron, mais Soïchiro Honda sait tout ce qu’il se passe, il ne dit rien et laisse faire », explique Nicolas. Une méthode efficace pour ne pas avoir à endosser l’échec. Sauf que la moto est convaincante, le boss continue de laisser faire et un 2e prototype sort, la 335B et Honda part draguer les 2 champions en titre japonais de motocross cette année-là.
En 1972, c’est officiel. Honda dévoile la 335C pour s’engager dans le championnat japonais de motocross. La moto remporte une épreuve, mais finit 7e au général. Peu importe, le projet devient suffisamment crédible et la mise en série est engagée par Honda. La moto est commercialisée à l’automne 1972 au Japon et exportée en 1973.
Honda CR : appelez-la Elsinore !
Pour conquérir les marchés à l’étranger, Honda fait un gros travail pour rendre sa moto attirante. La CR 250 prend le nom d’Elsinore, en hommage à la célèbre course aux États-Unis, près de Lake Elsinore en Californie, « c’est parfait pour flatter l’égo des Américains et faire rêver les européens ! », explique Nicolas. Les Japonais sont pragmatiques et veulent séduire les occidentaux, alors ils ne s’arrêtent pas là et vont travailler à fond sur l’image de marque.
Honda recrute les acteurs à la mode pour en faire des égéries dans des spots de publicités qui vont marquer les esprits. Et 50 ans plus tard, on rêve encore tous d’être Steve McQueen et de rouler dans le désert californien sur la Honda. « Sauf qu’il n’a jamais roulé avec une Honda auparavant, c’était juste le temps du weekend », relativise Nicolas. Mince, il brise le mythe !
Surtout, Honda fait un gros travail côté performance et va bousculer le monde de la moto en apportant des innovations sur une moto de série, qui jusque-là étaient réservées aux prototypes de compétition : premier réservoir en aluminium de série au monde, du magnésium à outrance et de l’acier haut de gamme.
Pour le reste, la Elsinore utilise un double-amortisseur, un refroidissement par air et des freins tambours.
American Dream version Honda
Comme en 1972 au Japon, Honda va piquer le champion en titre Gary Jones pour s’engager dans le championnat américain de motocross. Gary gagne dès la première année en 1973, la Elsinore enchaîne les succès et la domination Honda sur la terre américaine commence.
Nicolas et son look rétro, sont en train de me faire vibrer avec l’histoire de la CR. Je regarde la cinquantaine de motos avec envie. Suivant mon regard, Nicolas me raconte : « Certains collectionneurs en ont apporté plusieurs. Bruno David en a apporté 11 ! ». Bruno David, c’est un ancien champion de France motocross 500 cm3. Il a créé son propre team vintage : R2R et est spécialisé dans les modèles Honda-Mugen, un préparateur qui n’est autre que le fils de Soichiro Honda.
Vous avez l’histoire de la première CR, le début de la légende, mais le meilleur reste à venir. Alors je vous prépare une deuxième partie sur les 5 grandes périodes qui vont porter la CR jusqu’à nous, 50 ans plus tard.
Photos © Joris clerc
Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.