Les légendes africaines sont emplies de mysticisme. Le Sani Pass ne déroge pas à la règle. Cette ligne de vie entre 2 pays est un chaos de pierres, une ascension sur un fil vers le Royaume du Lesotho. Comme un défi, et un passage obligé lors de mon voyage en Afrique du Sud, j’ai grimpé le Sani Pass et j’avais envie de vous raconter.
Sani Pass : la montée aux enfers ?
Les routes qui relient les pays entre eux sont généralement des voies de communications bichonnées, puisqu’elles permettent de favoriser les échanges et faire vivre deux économies. Le Sani Pass, c’est la seule route qui relie le sud du Lesotho avec l’Afrique du Sud, mais le Sani Pass s’en fout d’être un bon élève. Depuis que ça trace a été ouverte dans les années 50, il a gardé son esprit de piste de contrebandiers à dos de mulets, du coup seuls les 4×4 sont autorisés à l’emprunter. Et c’est ce qui le rend à part.
Depuis le poste frontière sud-africain, l’ascension démarre. 9 km ? Ce n’est rien me direz-vous ! Vous êtes prêt à avaler la piste en quelques minutes, une quarantaine pour les plus rapides. D’autant que ça commence en douceur avec une pente à 20 % , vous êtes en 3e, voir en 4e avec un peu d’entrain. La route n’est pas lisse, mais les quelques crevasses n’empêchent pas de rouler à bonne allure. Quelques gués, alimentés par la fonte des neiges, viennent vous rafraichir, car il fait encore chaud à cette altitude. Vous êtes à 1 500 mètres, et vous faites des pauses photos car la vue est déjà à couper le souffle, au sens figuré pour le moment.
Mais le Sani Pass va venir vous cueillir peu à peu, augmenter le dénivelé soudainement. Vous n’avez rien vu venir, pourtant l’alerte venait du sol : la caillasse a changé la physionomie de la piste, et vous avez dû vous concentrer pour ne pas mettre les roues n’importe où. D’ailleurs vous avez descendu un rapport ou deux et vous cherchez désormais de la traction en permanence.
La piste est vivante, façonnée par l’érosion et le temps, la pluie et la neige, sculptée comme une compression de César qui serait en train de se déliter. Lire la piste et trouver la bonne trace devient une véritable enquête d’investigation. Ici, il ne s’agit pas de mettre les roues au bon endroit, mais d’aller là où la situation sera la moins pire.
La vue, vous ne la savourez plus. Concentrez à porter le regard pour guider vos roues dans ce qui est désormais un chaos de pierres et de crevasses. Le verglas vous indique que vous grimpez. D’ailleurs, vous roulez le menton en l’air désormais, pour suivre la piste du regard. La pente est raide, passée à 30 voir 40 %. C’est désormais un parcours d’alpiniste, les lacets étroits s’enchainent et vous donnent le tournis.
Vos bras commencent à tirer, vous donnez tout sur les cuisses pour rester debout. S’arrêter, c’est ne jamais repartir. Tout glisse sous vos roues et vous tenez votre moto tant bien que mal. Entre puissance pour continuer à monter et embrayage pour garder le contrôle. La piste n’est plus qu’un pierrier géant, que seuls les trous causés par l’érosion, sont venus déranger.
Dans un virage serré à droite, vous faites une pause, mais le souffle coupé, ce n’est plus par le paysage. À cette altitude, l’air commence à manquer et vous haletez comme un âne. Sauf que l’âne, lui, serait parfait pour grimper cette piste. La température a chuté, mais vous suez à grosse goute à cause de l’effort. Les lacets sont passés dans l’ombre des montagnes qui bouchent le soleil. Vous vous sentez oppressé, enfermé entre des murs qui se dressent devant vous. Pourtant, un simple coup d’œil sur le bord de la piste et vous avez le vertige.
Votre moto semble désormais tenir debout sur la roue arrière dans la montée, alors vous mettez tout votre poids sur l’avant. La suspension encaisse la violence des trous et de la piste défoncée, vous ne savez plus où allez pour trouver un peu de confort. Vous percevez un rayon de soleil, là-haut, c’est la lumière de l’espoir. Un dernier virage serré, tout dans le regard pour en sortir, vous n’avez plus de doute sur la mobilité de votre bassin. Puis un dernier coup de gaz, à la fois énergique et doux pour tenir la montée sans tout casser. Et vous voilà au Lesotho, 1 332 m d’ascension plus tard. Vous avez franchi le Sani Pass.
Sani Pass : le plus haut pub d’Afrique
À 2 874 m, d’altitude, le savoir-vivre hérité des Britanniques vous attends dans un Pub avec vue imprenable sur votre ascension. Le Sani lodge vous permet de savourer une Maluti, la bière brassée avec les eaux pures des montagnes du Lesotho. Vous reprenez votre souffle, vos bras courbaturés et votre cerveau a enfin arrêté de vibrer dans votre crâne.
Vous découvrez l’histoire du Sani pass sur les murs du lodge. Une piste de contrebande apparue en 1914, accessible à dos de mulets et en pratiquant un peu d’escalade. La piste permet de relier le district sud-africain d’Underberg en bas, à la région minière de Mokhotlong, en haut, isolée dans ses montagnes.
En 1944, David Alexander, un Sud-africain envisage de faire passer un 4×4. Mais il se fait griller la priorité par Godfrey Edmond of Kokstad, un ancien pilote de Spitfire, qui franchit le col avec une Jeep Willis et surtout une cohorte à pied pour lui ouvrir le chemin. Le 26 octobre 1948 , il met 14 heures et devient le premier à franchir le Sani Pass en véhicule motorisé.
Les années 50, la piste va être transformée grâce à des accords commerciaux : tourisme, approvisionnement, commerce, David Alexander s’occupe de façonner la piste pour faire passer des Land Rover. C’est à ce moment-là que le Sani Lodge, où vous êtes en train de siroter une Maluti, apparait au sommet du col. Ce refuge permet à ceux qui passent de survivre aux nuits glaciales, battues par les vents et la neige. Un lit chaud, de la bonne bouffe et un pub. La formule est toujours d’actualité de nos jours.
Les aventuriers motorisés décident de tenter leur chance à tour de rôle : camion, Coccinelles, motos, le Sani Pass devient un rite de passage pour les aventuriers motorisés. Une fois en haut, c’est la découverte d’un paysage lunaire et désormais classé site UNESCO pour sa réserve naturelle qui contient 2400 espèces d’animaux et 400 plantes endémiques.
Souvent fermée à cause des conditions climatiques, voir complètement ensevelie sous la neige, la piste est menacée par la modernité et les projets de la goudronner, mettant en péril ce paradis désuet. D’ailleurs, l’Afrique du sud, aidée par les Chinois, a goudronné juste avant le covid, la route menant à son poste frontière. Le début de la fin ?
Mais vous avez vécu le Sani Pass de votre vivant, tel un Cap Horn franchit, il vous permettra de pisser de bas en haut. Et si pour vous, lc’était une promenade de santé, que vous l’avez avalé en moins de 40 minutes, c’est qu’il est temps de vous inscrire à la « Roof of Africa », une épreuve d’Hard Enduro, considérée comme la plus dure au monde. D’ailleurs, j’ai inscrit Lolo et Momo pour 2023 !
En attendant, vous reprenez la route, pour découvrir la magie des montagnes du Lesotho, petit Royaume dans le ciel, qui vous coupera à nouveau le souffle à chaque kilomètre parcouru, par la beauté de ses paysages.
Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.
Ce qui serait top ce serait de faire le point sur les avantages et les inconvénients de cette moto en Offroad. Merci.
Plusieurs youtubeurs y sont passés pour ceux qu’ils veulent voir des images.
Il y a de mémoire Itchy Boots et Charly Sinewan et surement bien autres.