Quand on te propose de partir suivre le Tourist Trophy, tu ne dis pas non. « Tu vas voir, c’est un truc de dingue » ou encore « C’est le seul endroit où je veux revenir ». Quinze heures de voyage, quatre aéroports et trois avions plus tard, me voilà débarqué sur l’île de Man. P*t**n, c’est quoi ce truc.
Île de Man : une dimension parallèle
Dans le taxi qui m’exfiltre de l’aéroport, je n’ai pas fait plus d’un kilomètre que je me retrouve déjà invité dimanche à une course de motos dragster. « J’ai une Kawasaki 1100 cm3 préparée, mais bon, vu qu’elle ne va que tout droit, je ne l’utilise plus sur route ! », s’amuse Jo mon chauffeur. Pour les Mannois, le TT c’est un mode de vie.
C’est aussi un rythme de vie au quotidien. Il est 18h, et on se croirait sur le périphérique parisien tellement c’est embouteillé. Bon, c’est plus joli et les gens sont plus sympas quand même. La cause de ces bouchons ? La route qui sert au circuit passe en “lockdown” et se fait vider de toute circulation.
J’arrive enfin à Grand stand, là où se trouve le paddock, au cœur de la ville de Douglas. Littéralement au milieu des petites maisons “so british”. La foule est nombreuse, des motos garées partout et une ambiance de festival. Mais je suis un touriste privilégié, pendant 10 jours, je vais suivre de l’intérieur la semaine de l’équipe française Optimark.
Premier départ
Une main sur l’épaule, c’est un geste de tendresse et de bienveillance. Le Marshall qui pose sa main sur le pilote, c’est un peu ça. Ensemble, ils attendent le signal et cette main, c’est une manière de saluer le pilote, mais aussi une manière douce de contenir le déchainement de puissance et de vitesse qui va suivre. La main se lève de l’épaule, le pilote l’a senti au premier frémissement, le moteur rugit jusqu’au rupteur, il entre en transe sur la piste.
Ici, les pilotes s’élancent un par un, toutes les 10 secondes, afin d’éviter les problèmes d’embouteillages et les collisions. La séance dure 3/4 d’heure pour chacune des trois catégories : les 1000 Superbike, Superstock et Supersport puis les 600 SB, ST, SS et enfin les sidecars. Les plus rapides avalent les 60 km du tracé en 17 minutes environ. Le plus lent, en plus de 21 minutes. Ce qui laisse 2, 3 tours maximum pour trouver ses repères, régler la machine et améliorer.
2 ans, c’est long
La première semaine est dédiée aux essais dont les temps servent aussi de qualification. Il faut faire au moins 5 tours pour avoir le droit de se qualifier. Puis, il faut faire 115 % du meilleur temps pour se qualifier pour la course. Pas simple. « C’est dur cette année », confit Jean-Marc Rummler, le team manager d’Optimark, « deux ans sans rouler, il faut redécouvrir la piste qui est beaucoup plus glissante, on a des nouvelles motos à régler, des pilotes qui doivent reprendre leurs automatismes, on réapprend tout ! ». Il est un peu anxieux, l’envie de bien faire est alimentée par une passion dévorante pour le TT.
J’arrive juste au moment où les sidecars s’élancent. Ils n’ont pas pu rouler il y a deux jours à cause d’un incident. Plusieurs pilotes blessés dans une chute, mais rien de grave. Alors, les sides ont droit à un tour supplémentaire aujourd’hui, avant le début de la séance des autres. Chez Optimark, c’est Estelle Leblond la pilote et Clément dans le panier. On en reparlera de ce binôme, parce qu’une femme pilote française avec un poireau dans le panier, c’est quand même pas commun.
Puis c’est à Xavier Denis, le pilote solo du team, de s’élancer. Il va faire un tour avec la 1000 Superbike, rentrer, faire quelques réglages et repartir rapidement pour un autre tour. Le temps est compté pour accumuler le plus possible de roulage, de données et de sensations.
Le TT donne, le TT reprend
Tout se passe bien, je savoure l’instant, j’en prends plein les yeux et les oreilles quand les concurrents déboulent à plus de 280 km/h dans la ligne droite en pleine ville. Je tente une photo, sûr de mon talent, pas gagné. La vitesse est grisante pour le public comme pour les pilotes. Je me mets à déambuler dans le paddock et découvre toute les grands nobles du TT : Michael Dunlop et John McGuinness, les légendes, ou encore Conor Cummins le gars du coin qui fait partie des favoris.
Il est déjà 20 heures, la luminosité diminue et la session va se terminer. Pourtant, drapeau rouge à quelques minutes de la fin. Il y a eu un incident sur le tracé, à Ballagarey. C’est l’un des endroits les plus dangereux, surnommé Balla”scary”. Dans ce cas, la procédure est simple : les pilotes sont avertis et arrêtés immédiatement, peu importe où ils se trouvent sur le circuit. Ils doivent attendre qu’un Marshall en Honda CBR 1000 R-R SP vienne les récupérer pour les ramener tous ensembles au paddock.
1 heure se passe, on attend, on ne sait pas grand-chose de ce qu’il s’est passé. On sait que Xavier, le pilote Optimark, n’est pas concerné, car sa position en temps réelle révèle qu’il était déjà dans un autre secteur, loin de Ballagarey. Pourtant, l’inquiétude s’installe malgré nous, surtout pour le papa de Xavier qui est présent et tendu. Finalement, au loin, on entend les pilotes revenir. Soulagement, sourires, tout rentre dans l’ordre. Il est 21 h 30, Xavier va débriefer avec les mécanos, un peu frustré de ne pas avoir fini son tour.
Nous apprendrons, le lendemain, qu’un pilote s’est tué à Ballagarey, à peine plus de 6 km après le début de son tour. Mark Purslow avait 29 ans et n’était pas un débutant puisqu’il avait couru son premier TT en 2015. Le paddock encaisse le choc en silence. Le TT est exigeant, redoutable, intransigeant et parfois sans pitié avec ces pilotes qui pourtant lui dédient leur vie, et parfois la vie.
En quelques heures, le Tourist Trophy m’a fait vivre un ascenseur émotionnel. C’est intense, il faut tout prendre dans la gueule ou ne pas venir. Chaque jour, chaque tour, chaque virage, c’est une épreuve en soi et une victoire pour tous ceux qui ont le droit de passer au suivant.
Bienvenue sur l’Île de Man.
Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.
On ressent bien la tension du TT dans ce récit! Bravo l’artiste!
Joli récit ! Merci