Je vous ai parlé des héros du TT, des pilotes et des mécaniciens. Aujourd’hui, je repasse de l’autre côté de la barrière pour donner la parole à ceux qui viennent vivre leur passion.
Je pars donc pour la montagne, à Bungalow plus exactement. J’ai l’impression qu’il fait 10 degrés de moins là-haut, à 600 mètres au-dessus de la mer d’Irlande. Le vent souffle, mais ne parvient pas à refroidir les ardeurs des passionnés. Il y a foule, les pelouses sont déjà remplies de spectateurs arrivés tôt pour voir les concurrents passer à toute berzingue. Ici, ce n’est pas l’endroit le plus spectaculaire, mais celui qui permet de voir les pilotes travailler leur trajectoire.
Ceux qui redeviennent une bande d’ados
Une première bière avalée avant midi, mais c’est pour me réconforter du froid glacial, et je pars en vadrouille. Je n’ai pas fait 2 mètres, que j’entends déjà parler français. Je tombe sur une bande qui arbore un veston similaire, rempli de patchs qui en disent long sur leur histoire avec le TT.
Six potes qui viennent ici depuis 2009. Le Mang, Carling, mi-cul, Tiger, Leo, Le Pandre, ne me demandez pas les vrais prénoms, je n’ai même pas demandé. Ils m’expliquent que tout est parti d’une discussion, puis un diner, puis deux. Et les voilà qui s’embarquent pour leur premier grand road trip moto afin de découvrir ce qu’était cette chose étrange que le Tourist Trophy : « La première fois, on est venu 3 nuits, histoire de voir. Et puis on a décidé de revenir et à chaque fois, on a rallongé le séjour », m’expliquent les compères.
Ils découvrent la force du TT, être au plus des motos qui passent à 300 km/h sous leur nez, les voilà accrocs. « On t’explique que c’est parfois dangereux aussi pour les spectateurs. On était à Cronk y Voddy et ils nous ont dit de rester sur l’herbe, de rentrer nos pieds parce qu’un concurrent qui crève ou qui rate sa trajectoire peut rouler dessus ! Ça tu ne le trouves plus nulle part ailleurs ! Ici, c’est immersif, t’es au plus près de l’action. ».
Médecin, ingénieur ou chef d’entreprise, le TT, c’est un peu plus qu’une course, c’est leur rituel pour se retrouver, leur respiration dans leur vie d’adulte : « on a 14 ans dans notre tête pendant 10 jours », me lâchent-ils presque en cœur avec un regard malicieux. La petite évasion annuelle a transformé la bande de potes en GBB les« Great Britain Bikers » (ou autre chose), le nom de leur petite bande qui s’affiche fièrement dans le dos de leur veston TT. La rumeur voudrait que certains se soient même tatoué le logo pour avoir le TT dans la peau et sur la peau.
La conversation s’échappe vite de la course, pour me parler de leurs balades. « On vient rider ! On se fait un grand road trip pour venir, on prend le chemin des écoliers pour en profiter à fond », les B2B ont ainsi découvert le Pays de Galles ou encore l’Irlande, des merveilles cachées, loin des routes touristiques habituelles pour les motards. Le TT, un prétexte pour redevenir libre.
Sachez que la bande a promis d’écrire une belle trace de leurs road trips à travers les îles britanniques, sur Kap2cap. Je ne vous mets pas la pression les gars !
Celui qui traverse le monde
Je poursuis ma balade dans le public, je fais quelques pauses photos pour justifier ma présence et ma chasuble « média ». Puis, je tombe sur Tony : « Quel est votre endroit préféré pour faire des photos ? », me voilà, le journaliste, en train de répondre à des questions. En même temps, Tony vient d’Australie, tout est à l’envers là-bas.
Il est venu la première fois en 2014, une fois que la retraite lui a laissé le temps de traverser le monde pour venir sur cette petite île emblématique. « Il n’y a pas d’autre endroit comme celui-là. Les gens sont adorables ici, ils vous accueillent avec le cœur. Au-delà du TT, je suis venu pour la course et je suis tombé amoureux de l’île de Man », m’explique Tony avec beaucoup de tendresse.
Tony a décidé de participer à sa manière et de faire marshall sur le TT. Il m’explique alors qu’il connait bien la compétition, il a été marshall sur le circuit de Philip Island pour des Grands Prix de Superbike et Moto GP : « c’est trop stérile et trop éloigné de tout. Mais ici, c’est l’inverse, tellement excitant, tu peux parler aux pilotes et voir les motos de près ! ».
Tony a décidé de revenir tous les ans, lui aussi, malgré les milliers de kilomètres qui le séparent de son île natale. Et en 2017, il a emmené sa bécane pour en profiter à fond, « je voulais faire le tour du circuit avec ma propre moto. Alors, je l’ai ramenée en Europe, j’ai sillonné le continent avec, j’ai cramé 3 jeux de pneus sur 24 000 km en 4 mois, puis je suis arrivé à l’heure pour le début TT, c’était génial ! ».
Celui qui voulait vivre ici
Je retourne retrouver des Français que j’ai rencontré il y a quelques jours, Olivier et Nathalie. Le couple vit le TT à fond avec les pilotes, à fond avec le mode de vie sur l’île.
Olivier baigne dans la moto depuis toujours, c’est d’ailleurs son métier. Le TT, c’est son rêve de gosse à lui, « je dévore les cassettes du TT depuis gamin. La première fois que je suis venu, c’était incroyable, ici, c’est tellement atypique, j’ai pris une claque ! Et puis Nathalie, a fait un bond la première fois qu’elle a vu une moto passer. Le bruit te fait vibrer au plus profond de ton corps !». Cinq éditions plus tard, Olivier et Nathalie sont mordus plus que jamais, le TT ce sont leurs vacances d’adultes, sans les gosses !
La proximité avec la route et les pilotes qui te frôlent, c’est aussi l’adrénaline du spectateur « Une fois je faisais une photo et il a fallu me tirer en arrière car un pilote était en train de m’arriver dessus après avoir perdu le contrôle. Ici, ce n’est pas sécurisé comme sur un circuit, c’est pour ça que c’est hors norme. ». Et une fois la course terminée, Olivier sillonne le tracé « C’est génial de pouvoir prendre la même route que les pilotes. Sauf que moi j’ai mis 20 minutes pour faire 23 km, c’est là où tu te rends comptes de la performance des types ! », me dit Olivier, émerveillé par des pilotes qui parcourent les 60 km du tracé en près de 18 minutes.
Mais au-delà du frisson de la course, il est tombé sous le charme de l’île de Man, « C’est à la fois stressant et apaisant. Tu regardes les mecs rouler, puis tu vas faire une balade dans des paysages sublimes. Il y a toutes ces petites routes, c’est envoutant ». Avec sa femme Nathalie, ils se déplacent en Honda Monkey, un petit 125 cm3, « t’as pas besoin de plus, ici il n’y a pas de grandes routes et comme ça tu profites à fond du décor. D’ailleurs, c’est le seul moment de l’année où l’on roule ensemble ». Olivier est un romantique, qui ferait presque passer l’île de Man pour la Venise du motard. Le soir, je l’ai surpris à regarder les prix de l’immobilier, “Non mais une petite maison pour venir en vacances ici, même en dehors du TT, ce serait génial non ?”.
Ceux qui prenaient l’apéro
La journée se termine, je redescends de ma montagne enchantée. Et je vais découvrir la proximité que propose le TT avec ses héros. Ce soir, la promenade du bord de mer de Douglas, la capitale de l’île, est transformée en promenade des Français. Enfin, juste une petite place que les autorités locales ont récemment rebaptisée Fabrice Miguet, en hommage au fantasque pilote.
Un petit carré de liberté, où seuls les Frenchies sont autorisés à boire de l’alcool dans la rue. C’est devenu une tradition au fil des ans. Certes, il faut résister au crachin Grand breton, mais la communauté française est nombreuse et je découvre l’engouement tricolore pour le TT. Au milieu de la foule, les pilotes et les équipes ont fait le déplacement pour venir les rencontrer. Les passionnés peuvent toucher, questionner et écouter les héros qui, quelques heures plus tôt, les ont fait vibrer en passant parfois à fond de 6, au ras des murets de pierre qui bordent la route.
« Ici, ils ne sont pas enfermés dans leur box, à se cacher. Tu peux payer un verre à ton pilote préféré et lui demander en personne comment il a vécu sa course », m’explique Michel, venu des du Pays Basque. Tous les pilotes sont présents, et se prêtent plus que volontiers au jeu « On vient pour ça aussi, on est dans l’échange et dans l’humain, c’est ça qui me plaît dans cette course », raconte Julien Toniutti.
Estelle Leblond, la pilote de side-car du team Optimark prendra la parole. Un moment pour rendre hommage à ses camarades Olivier et César. Un instant aussi pour rectifier certains préjugés sur leur passion à tous : « Ce ne sont pas les jeux du cirque, nous n’offrons pas notre vie pour faire le spectacle. Nous vivons notre passion et la mort de nos proches nous fait mal ». Dès deux côtés de la barrière de la route, la mort est une fatalité de la course, mais elle n’est ni un enjeu, ni un fantasme.
À côté de moi se tient Jonathan Goetschy, le pilote d’Endurance que l’on surnomme « La Buche » et il me dit très franchement : « si on était des fous ou des suicidaires, on ne serait même pas là. Ici, il faut comprendre ses limites pour aller vite et ne pas rouler au-dessus de ses pompes ».
Demain, c’est relâche, la soirée se poursuivra malgré la petite pluie et les Français laisseront planer une douce odeur de nostalgie au parfum anisé sur la promenade de Douglas.
Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.
Ça donne tellement envie d’y aller….
Top ! Bien écrit … Les veinards. Si je gagne au Loto, j’y vais (rapido, car je me fais vieux !).