En 80 ans d’histoire, Ural Motorcycles a eu le temps de vivre des périodes difficiles et des époques tumultueuses. Si les rustiques side-cars ont toujours survécu, la récente pandémie a fait beaucoup de mal à l’entreprise ces deux dernières années et la guerre en Ukraine vient frapper une légende industrielle qui a déjà un genou à terre.
From Russia and Kazakhstan, with love
Frappées par les sanctions économiques, les embargos et les interdictions d’exporter vers l’Europe et les États-Unis, les sociétés russes peinent à survivre et doivent se réinventer pour continuer d’exister.
Le président d’Ural, Ilya Khait a eu une idée pour résoudre les problèmes d’approvisionnements et d’exportations des produits russes : délocaliser une partie de sa production au Kazakhstan. Mais pourquoi le Kazakhstan ?
D’abord parce que le Kazakhstan est le pays le plus proche de l’usine historique d’Ural, Irbit. Ah ! Irbit ! Fleuron de l’industrie russe depuis la Seconde Guerre mondiale. Son centre-ville coquet, ses rues champêtres et son tourisme de luxe. Une vraie putain de ville de Sibérie qui ressemble à la fin du monde. Souvenez-vous de la vidéo de ce jeune français venu en goguette pour faire un tour de side-car, un certain Laurent C.
Irbit n’est qu’à 600 km de Petropavl, la ville la plus au nord du Kazakhstan, un jet de pierre à l’échelle de la Russie. Le lieu a été choisi pour sa proximité, afin de déménager rapidement une partie de la production et donc de reprendre tout aussi rapidement l’activité. Ural va aussi reprendre les infrastructures de la société Kastekhmash, et bénéficier de certains équipements déjà présents pour relancer sa ligne d’assemblage.
La Bérézina ?
Pour le président d’Ural, la manœuvre sera souple et presque sans douleur grâce au modèle industriel qu’il a mis en place ces dernières années : “Aujourd’hui, un side-car Ural est produit à 80 % de pièces venant de fournisseurs à travers le monde. Nous sommes donc préparés et cela va nous simplifier la tâche pour déplacer la ligne d’assemblage. Nous allons simplement devoir changer l’adresse de livraison pour les fournisseurs ! C’est ce qui rend la chose faisable dans notre nouveau scénario de production !”, explique Ilya Khait.
La société ne va pas se délocaliser, mais va « s’étendre » si l’on reprend les propos du président d’Ural, qui reste prudent sur l’interprétation de ses propos par les autorités russes. Il met d’ailleurs en avant son problème d’approvisionnement et cantonne ce choix à des questions logistiques. D’autant, qu’Ural va devoir multiplier les convois à travers la frontière, mais ça ne semble pas l’inquiéter outre-mesure.
Dans ce nouveau schéma de production, Irbit va donc continuer à produire les châssis et les carénages. Mais les motos seront assemblées et expédiées depuis le Kazakhstan afin de ne pas subir les différents embargos. ” Nous avons un carnet de commandes rempli, avec des marchés partout dans le monde, et nous essayons d’honorer ces commandes, de fournir la demande à venir et d’augmenter notre capacité de production”, explique le patron d’Ural Motorcycles.
Dès le mois de mai de cette année, l’usine de Petropevl va donc recevoir les premières pièces et l’assemblage va reprendre. Ural espère ainsi reprendre les exportations au mois d’août prochain.
Révolution d’octobre ?
Ural n’est pas réputé pour sa fabrication de masse. Et la légendaire cadence de travail d’Irbit fait aussi partie du charme de posséder un Ural, dont le tarif dépasse les 15 000 euros pour les modèles les plus récents. Mais si les side-cars russes survivaient, Ural pourrait profiter de la crise pour faire sa révolution en augmentant le volume de production, grâce aux Kazakhs. Le président s’est bien gardé de dire s’il allait conserver ses effectifs au complet en Russie. Même s’ils ne sont pas nombreux, la tentation de dégraisser est toujours là.
“On ne choisit pas son pays de naissance, ou ses choix et ses relations avec ses voisins. Notre héritage russe, c’est notre ADN, et on peut l’interpréter de différentes manières. Nous resterons toujours fidèles à ce que nous avons été : une entreprise fière et indépendante, rustique, pleine de ressources et tenace !“, s’enflame le camarade Ilya pour tenter de masquer la fuite de sa société à l’étranger.
Ce sera peut-être aussi l’occasion d’entamer une autre révolution en faisant le grand saut dans l’électrique. Ural a dans les cartons un projet de side-car 100 % électrique, développé en partenariat avec les Américains de Zero Motorcycles. S’il est vrai que sa gueule donne envie, aucune fiche technique ou autonomie n’ont été fourni. D’ailleurs, le projet est dormant depuis 2018, l’effet de la crise du Covid sûrement. Mais ce serait la fin de 80 ans d’évolution du boxer copié, pardon, hérité de la BMW R71 d’avant-guerre, le dernier flat-twin entièrement refroidit par air encore produit et doucement modernisé. Et le début d’une nouvelle forme de voyage au long cours sur 3-roues. La liberté sur 100 km entre deux charges ?
De leur côté, les autorités Kazakhs semblent se frotter les mains à l’idée de recevoir les industries russes sur leur sol, le ministre de l’Industrie a déclaré n’y voir aucune objection « Toute société qui n’est sujette à aucune sanction est la bienvenue ». Dans un pays immense, peuplé de 19 millions d’habitants seulement et qui mise surtout sur les hydrocarbures et l’extraction de l’uranium, c’est certainement une aubaine.
Ural Motorcycles pourrait donc être la première société russe d’une longue liste à trouver refuge au Kazakhstan. Mais les Kazakhs devraient rester sur leurs gardes, ils vont finir par se faire envahir par autre chose que des side-cars …
Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.
C’est ma troisième poubelle en forme de seed mais qu’elle charme ça respire l’aventure et aussi l’imprévu ce qui donne du goût à la soupe longue vie à nos desirs
Il serait bien dommage que les side-cars Ural disparaissent du paysage moto de légende, alors longue vie au Kazaks!!