PARIS – DAKOEUR EN 100 cm3 – ÉPISODE 5

J’avoue, hier, avec ce déchaînement des éléments, j’ai failli tout envoyer balader. Renoncer, rentrer en prétextant une casse du vilebrequin. Pourtant, à un moment, je me suis dit que tout ça n’était, sans doute, pas si terrible que ça. Ne me demande pas pourquoi mais, au coeur de la tempête Kattrina qui balayait le Maroc et que je subissais à mon cylindre défendant, m’est venue à l’esprit cette incroyable scène dans Pulp Fiction où Samuel L. Jackson cite Ezéchiel 25 verset 10 de la Bible avant de commettre une véritable boucherie.

Il déclame la chose suivante :« La marche des vertueux est semée d’obstacles qui sont les entreprises égoïstes … béni soit l’homme de bonne volonté qui, au nom de la charité se fait le berger des faibles … j’abattrai alors le bras d’une terrible colère, d’une vengeance furieuse et effrayante sur les hordes impies qui pourchassent et réduisent à néant les brebis de Dieu. Et tu connaîtras pourquoi mon nom est l’éternel quand sur toi s’abattra la vengeance du Tout-Puissant.“

Je ne sais pas trop ce que j’avais fait (le sait-on toujours?) mais clairement j’avais l’impression d’être la cible unique et privilégiée de cette vengeance suprême. Sauf qu’à ce moment précis, je me suis souvenu que le Père Tarentino en avait un peu fait des caisses. Car le vrai verset biblique se veut lui, bien moins extrême avec un plus soft : « j’exercerai sur eux de grandes vengeances. » C’est à ce moment là que je là que je me suis dit que j’avais peut-être une chance de m’en sortir.

A ce sujet, nombre d’entre eux, à la vue de mon équipage, qui ressemble fort à un transport local, m’ont fait signe pour les emmener au prochain village. En passager, derrière moi. Las, ma moto ne compte qu’une seule place sur la carte grise et est chargée comme une mule. Ne prends pas ça comme un signe de mépris car sache que, si certains considèrent que les déplacements en âne sont le signe d’un abandon économique, ils sont pourtant essentiels pour transporter de la nourriture et autres produits de première nécessité dans des endroits parfois et autrement inaccessibles. Donc, sache que je suis fier de ma mule et de leurs.

Bref, avec 263 kilomètres à parcourir dans la vallée du Ziz qui comporte, certes, quelques belles cotes et zones de travaux, ça allait être plié en un peu plus d’un plein et on va dire à peine cinq heures. C’était sans compter sur l’un des deux buts de ce voyage. L’un étant de suivre le chemin de migration des cigognes, l’autre étant de faire le boulot de certaines cigognes devenues sédentaires, à savoir ramener de Dakar en France  la petite Emmanuelle-Marie qui a besoin d’une opération du coeur. Je sifflotais donc sous mon casque sur la même tonalité que mon petit deux -temps, nez en l’air quand là, juste devant moi, deux nids perchés sur des poteaux.

Objectif atteint

Ils semblent vides. Décidément, j’aurais tout fait à l’envers lors de ce voyage. Mais non. En fait, à bien y regarder, il reste encore pas mal de vent et ce couple de cigognes tente tout simplement de se planquer. Je venais enfin de décrocher ma première récompense sur ce voyage. Trouver des cigognes qui bientôt, prendront leur envol vers la France. N’en déplaise à Ezéchiel, mon chemin n’était pas si égoïste, ni vain et inutile que ça. J’ai fait quelques images de mon trophée et suis reparti sur Merzouga.

J’ai bien entendu ?

T’imagines même pas la légèreté de mon âme à ce moment là. J’ai passé Errachidia, Erfoud qui n’était qu’un bled paumé voilà 30 ans. Plus que 60 bornes et j’allais pouvoir prendre un peu de repos avant d’attaquer la Grande Dune de Merzouga (laisse moi tranquille avec mes rêves même s’ils ne sont pas réalistes) quand là, au passage d’une bosse un peu plus prononcée que les autres, j’ai entendu un énorme « clonk ». Tu sais, sur une moto, il faut toujours faire confiance à son instinct.

Que faire ?

Même si l’envie de continuer et d’arriver était la plus forte, j’ai ralenti, fait demi tour à la recherche d’une probable objet que j’aurais pu perdre sur la route. Rien. Je me suis garé et j’ai béquillé pour faire le tour du proprio et découvrir … l’horreur. L’amortisseur droit venait de lâcher. Il était cassé en deux, la tête pendant lamentablement vers le bas. Et celui de gauche ? Il plie mais ne rompt pas encore. Ça ne devrait pas tarder. Bon du calme. Réfléchir et dans le bon sens. Je suis à mi chemin entre Erfoud et Merzouga. Erfoud est une ville moyenne , en tout cas plus grande que Merzouga. Mais Merzouga regroupe une grosse activité moto du fait des dunes. Direction Merzougae.

Chez Saïd

Contraint, forcé, je me remets sur le quatrième rapport, mi gaz, 40 km/h, histoire de ne pas me péter la gueule trop fort si d’aventure (quel joli mot dans cette situation) l’autre amorto venait à lâcher et modifier assez ostensiblement la géométrie de ma mob. J’ai recommencé à me faire doubler par les camions (en priant que que la séparation de corps n’ait pas lieu à ce moment là) pour finalement atteindre Merzouga et le garage « Micanique Merzouga » tenu par Saïd. Un jeune. A l’intérieur, pas vraiment de quoi rassurer. Un quad démonté, une Ktm en souffrance, ça ne sent pas la grosse activité. Pourtant, Saïd se veut, lui, rassurant. « Tant que toi tu vas bien, tout va bien. » Merci Saïd, faut vraiment que j’en parle à Ezéchiel.

Cette fois-ci, c’est mort

Bon mais, Saïd, en ce qui concerne les choses plus matérielles, mes amortos, on fait quoi ? Saïd, il a sorti un mètre, mesuré à peu près l’amorto qui avait décidé de me tenir encore un peu compagnie, et a sorti son téléphone. Il a pas mal discuté, argumenté et a finalement fait la moue. Aïe. Là, je me suis dit, c’est mal barré. «  Non, il n’y a pas de problème, c’est juste que c’est un peu tôt. Il n’est que 16h mais ça va ouvrir dans un quart d’heure ». Son frangin Mohammed a quand même sauté sur sa mob pour aller je ne sais où et revenir une demie heure plus tard avec deux amortos dotés d’un chrome brillant qui annonçait une incontestable provenance chinoise.

Une décision difficile

J’avoue, j’ai eu du mal à lui faire ça, à ma mob. Mais quel autre choix avions-nous, elle et moi? Aucun. Je lui ai gentiment demandé de faire exception et d’accepter la greffe. Faut dire que docteur Saïd y a mis du sien. Bon au début, le diamètre des têtes et pieds d’amortisseurs étaient un peu juste pour entrer dans les ancrages. Saïd a voulu virer les bagues et laisser le tout flotter sur les silent-blocs. J’ai dit non. Moi, je dois aller jusqu’à Dakar et là, c’était repartir vers de futurs problèmes. Alors on a viré les bagues chinoises et cherché des bagues d’un diamètre extérieur identique mais plus grand à l’intérieur. La solution était juste devant nous. La tige bleue de son cric … qu’on n’a pas hésité à débiter à la disqueuse en autant de rondelles que nécessaire.

Saïd, il est prêt à tout

Désormais avec 10 centimètres de tige restante, ça allait pas être simple de soulever une bagnole mais Saïd, ça a pas eu l’air de le gêner. Saïd a bien chanfreiné les bagues et les a délicatement insérées à la graisse dans leur logement. On a tout resserré, j’ai fait un tour, c’était magique. Les amortos étaient certes un peu plus longs, un peu plus fermes mais faut voir le positif, je venais de gagner en garde au sol. Hyper conscienscieux, Saïd a fait le tour de ma mob et repéré un support de mes bagages qui s’était rompu. Un coup de poste à souder et c’était réglé. Tant qu’à faire, j’ai aussi demandé à Saïd de me souder une petite rallonge de béquille côté gauche car avec cette hauteur supplémentaire, c’était devenu instable.

Je double la mise

Deux heures plus tard, je repartais donc avec ma mob équipée d’amortos neufs, ainsi que deux autres amortos également neufs venus pendant notre réparation par taxi de Rissani. Oui, je sais, ça fait du poids en plus. Mais d’une part je vais les scotcher quelque part en bas de la moto. D’autre part, ces amortos chinois, je les sens pas m’accompagner complètement jusqu’à Dakar. Comme je dis toujours « acheter chinois, acheter deux fois », faute de trouver du japonaise je n’ai pas dérogé à la règle. Allez, je te laisse, demain m’attendent les dunes de Merzouga.

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