Le pirate

Tout ce qui se passe dans ta tête fera ta course, ou presque. Pour rouler ici, ce n’est pas la taille des couilles qui compte, comme je l’ai souvent entendu. Bien sûr, il faut un gros cœur, mais c’est ce que tu as dans la tête qui est le plus important. Après mon tour de manège enchanté lundi, j’avais envie de me retrouver à nouveau sur le circuit. J’avais pas mal travaillé, compris certains trucs, et j’étais prêt à rouler, non pas pour faire un chrono, mais pour essayer d’aller un peu plus loin.

Sauf qu’en essayant de réciter mon tour devant une vidéo de caméra embarquée, je me suis trompé plusieurs fois… Et j’ai compris que ce soir, je ne savais rien. Trop d’informations en trop peu de temps… Saturation. Et je suis parti en me disant ça dans Bray Hill « Ce soir, tu sais que tu ne sais rien ». J’ai validé, revalidé chaque virage avant d’y entrer. J’ai (trop) ralenti à 11th milestone, parce que je le connais mais je sais que je ne l’aime pas. J’ai pris mon pied dans Glen Helen, et je me suis senti différent sur la moto. Moins la sensation de plaisir que la veille, plus le sentiment d’être en train de travailler, d’essayer des choses, de convaincre ma confiance que ça peut rentrer sans soucis avec 20 bornes de mieux qu’hier. Et je déroule. Sauf que ce « un peu plus vite » change beaucoup de choses. La moto prend du mouvement, serpente à la réception des sauts et des compressions, louvoie en entrée… C’est le retour des sensations fortes ! Une un peu trop forte à Hailwood’s Rise, m’écarte de deux bons mètres à cause d’une rafale de vent, et me ramène sur terre… Je souffle, et continue mon chemin, en incluant ce paramètre que j’avais un peu délaissé ce soir : Le vent.

Fin du premier tour, je passe Martial Mourra, un autre français Newcomer dans Grandstand. Je fonce vers Ballagarey, mais le soleil qui se couche m’arrache les yeux. Je coupe, je suis perdu, je ne vois plus rien… Ma lentille de contact droite se barre… Je sors de Ballagarey, mon cerveau ne comprend plus, et ce con veut pas faire la mise au point entre un œil qui voit et l’autre dans le brouillard. J’hésite, mais décide de continuer. Avec un œil, en mode pirate, je me dis que je vais apprendre dans ce tour à gérer la vitesse avec une difficulté inattendue, voir si ça passe, quoi… Et ça passe. Je me tiens tranquille quand même (là où tu ne vois pas, tu ne vas pas), déroule la même histoire mais avec des parties en braille, me lâche là où je sais, et puis, le drapeau à damier.

Je reviens tranquillement. La réparation du radiateur a tenu (merci à Marc Dufour), il y a eu un moment où la 5ème n’a pas voulu passer, mais j’ai eu la sensation, malgré les très gros mouvements de la moto, d’en mettre un peu plus, d’être un peu mieux. Mon frangin à le sourire… 22min46sec, je viens de me qualifier pour la course Junior, la 2ème épreuve où je me suis inscris ! Inespéré, je sentais que j’étais un peu plus vite, mais je ne pensais pas avoir gagné plus d’une minute au tour ! On fête ça autour d’une bouteille avec des supporters français, on discute… Et ensuite je réfléchis…

Ce soir j’ai su que je ne savais rien, et ça m’a sauvé. La pression s’est évaporée devant ce constat et j’ai fait ce que j’ai pu avec ce qui était certain à 200%, pas moins. Le vent a soufflé, les bosses m’ont secoué, et le circuit m’a rappelé que même si j’étais certain, le chef, c’était encore lui. Qu’une vague avec 30km/h de plus devient une bosse. Qu’un coucher de soleil peut être un cauchemar. Et que même ceux qui savent, à n’importe quel moment, peuvent subir le circuit, sans qu’on sache ou comprenne pourquoi… Hier, un Irlandais de 39 ans n’ira jamais plus loin que le 1er mile de la montagne… C’est comme ça. Il n’y a pas grand-chose à en dire, à en penser, encore moins à en juger. Si ce n’est d’être triste pour ceux qui ne vivront désormais qu’avec son souvenir. Et se dire que s’il était ici, c’était sa volonté, et qu’il n’aurait surement pas, comme beaucoup d’entre nous, laissé de côté ses rêves, même s’ils coûtent parfois beaucoup, beaucoup trop chers… Ce soir, j’en sais un peu plus, mais demain j’en mettrais moins.

Savoir prendre son Ton…

Mercredi. Nous sommes partis depuis une semaine. Je n’ai pensé qu’à la course, qu’à répondre à toutes ces questions qui ont mûries dans mon crâne pendant une quinzaine d’années. Je me rappelle quelques passages… La disparition de Joey Dunlop, en 2000. Une photo dans Moto Journal sur sa 1000 VTR, sautant à Ballaugh Bridge. J’étais parti courir, les larmes aux yeux, me jurant qu’un jour j’irai rouler dans ses traces. Dunlop, c’était l’espoir pour moi. Capable de gagner à 48 ans, la clope au bec et la bière à la main, en ayant démarré tout seul, alternant courses et séances de mécanique entre deux trajets en camion… Je me disais que ce mec-là était normal, un petit, comme moi, et que je pouvais donc y arriver aussi, en bossant très fort. En roulant ici, j’ai compris que c’était aussi et surtout un génie de la trajectoire, doté d’une expérience incomparable.

Mercredi matin, donc. J’ai envie de respirer, j’ai envie de passer un petit moment avec Tibo, mon pote à la compote avec qui je partage tout depuis 10 ans, mon frère Jessy, qui connait encore mieux le tracé que moi, et Céline, qui m’avait dit, bien avant qu’on soit ensemble, qu’elle viendrait un jour me filmer sur l’ile de Man. Une petite balade sur la promenade de Douglas, un English Breakfast histoire de manger local, puis un tour du circuit en camion. On en profite pour regarder les paysages…,Oh, t’as vu, on voit la mer ! Ah oui, sauf que moi, je ne l’avais jamais vu ici… Moi, je vois la maison blanche où je prends les freins, le trottoir peint en blanc et noir, et les deux autres virages à droite qui me font entrer dans de Kirk Mickael. C’est très surfait Kirk Mickael, je pense que je dois le traverser en une quinzaine de secondes…

Aujourd’hui, je ne travaille pas. Je vis et souris avec ceux qui sont là et resteront toujours, même si la course s’en va. Je les aime. Du coup, petit coup de pression avant de partir aux essais : j’ai pas bossé. Je réfléchis à quelques endroits où je pourrais gagner du temps, me décide pour la section d’après Rhencullen et le fameux gauche de Ballacrye. Parti dans les derniers, je retrouve le plaisir de lundi au guidon. Personne devant, personne derrière, j’ai 60 kilomètres pour moi sans radar, sans avoir peur de blesser quelqu’un, sans personne qui vient en face. Et en plus, il y a des gens qui m’encouragent… Je sais qu’à Gooseneck, Corinne ‘Tite route et un groupe d’irréductibles gaulois attendent le passage des français. Un petit salut « Purple Helmets Style» plus tard, et je file dans la montagne, seul, le compteur affichant 248 km/h…

Deuxième tour, je récite ma leçon encore un petit mieux, et surtout, le sourire aux lèvres… J’ai l’impression d’être plus vite, mais aussi plus à l’aise qu’hier. La moto qui bouge, se soulève sur la bosse de Ballacrye, louvoie dans Bottom of Barregarow, et devient une bête à dompter, tout en sachant la laisser vivre… Arrivé à « The Nook », juste à la fin du circuit, je double un pilote. J’en mets un peu trop dans le sous-bois et arrive en catastrophe complet directement à la corde de la minuscule saloperie d’épingle de Governor’s Bridge. J’ai bien compris que j’étais dans la merde, mais n’hésite pas une seconde : je sors le pied en mode rallye-j’te-dis-qu’ça-rentre… et ça rentre… 600m encore, et drapeau à damiers. Mon frangin a sa tête du gars content. C’est-à-dire qu’on ne sait pas trop mentir dans la famille. Je crois que je l’ai… J’en suis sûr… Oui, il sourit trop… Je viens de passer le Ton, avec un tour en 22min 24sec !

Le Ton, c’est la barre des 100 miles par heure, soit 160,9 km/h de moyenne au tour. C’est un peu l’objectif de tout pilote qui vient ici pour la première fois, car ça commence vraiment à défiler… Mais histoire de rester les pieds sur terre, je me souviens aussi que le Ton a été passé pour la première fois par Bob Mac Intyre en… 1958… ça me fait sourire d’être content quand même… comme quoi, il en faut peu pour un enfant !

Hier soir, il manquait juste une cheminé. A 1h du matin, nous étions 7 froggies, spectateurs ou pilotes, à se raconter nos petites histoires et nos grosses galères, sans langue de bois, sans se la péter… Le Ju, qui a fait claquer le 9ème temps en Newcomer A avec une pendule en 21’06, nous a vendu du rêve avec ses saisons de rallye… Dommage que Père Protat n’ait pas voulu nous raconter une nouvelle histoire, parce qu’entre le « Nac-nac-terre-plein », le  « je te double en te tirant par la selle », et le « je retiens ta moto avec mon coude pour gagner », Fred, qui m’impressionnait tant dans le paddock lors de mes débuts de mécanicien en 2006 avec son air de boxeur et ses silences en qui en disaient trop, s’avère un mec génial, franc, et entier. La légende qui raconte qu’il aurait souri pour la dernière fois en 1996 est donc complètement erronée, et le personnage vaut le coup d’être écouté, et respecté. Et en plus, c’était 1998…

Cadeau bonus: le Bon, la Brute et le Truand

Faut quand même que je vous raconte… Mardi, Fred Protat (juste ex-pilote de GP 250, 500, superbike France et mondial), Christophe (un fana de road races et singe au TT), et moi-même, sommes partis faire un tour du circuit, histoire que je révise mes leçons… Tout se passait à merveille, quand soudain, à la sortie de Ramsey, une Norton Commando (celle Manchzeck dans le Joe Bar), démarre devant nous, passagère agrippée au porte-bagage, casque bol sur la tête et Climax aux yeux. La scène est déjà belle.

On attaque donc la montagne, à la queue leu leu, quand un bruit de tonnerre déchire mes tympans pourtant mélomanes : La Commando déboite la file de bagnoles et s’en va, laissant tout le monde sur place. Le conducteur de la voiture qui arrivait en face, par contre, devait beaucoup moins rigoler. Bref, une fois la voie dégagée, j’en tombe deux, soude, empile les vitesses, et reviens sur la Commando, vieille de 45 ans. Le mec est cinglé. Je le double, le dépose au moteur, attend quelques kilomètres plus loin d’avoir la route dégagée pour doubler une nouvelle file de voiture… Et me refait passer par la Commando qui, visiblement, aime donner des sensations aux gens qu’elle croise. Elle rentre dans Verandah, la passagère rectiligne, le pilote aussi. La moto louvoie, et je les vois mourir 10 fois dans ce quadruple droit… et ressusciter 11 fois. J’hallucine. Soit le mec est en contact direct avec Dieu, soit c’est dieu lui-même, mais bordel, y a un truc pas humain dans ce que je viens de voir.

On sort de Bungalow, je dois bosser cette section (où j’ai pris la rafale de vent), mets gaz, redouble la Commando, fais 5 bornes, me retrouve à nouveau coincé derrière une caisse… et 5 secondes après, la Norton me redouble, à bloc… Mais merde, je me traine ou quoi !!! Je regarde derrière, plus de Fred, plus de Christophe… Bon, je ne dois pas me trainer tant que ça… On se rejoint tous dans Creg Ny Ba, où la route redevient limitée en vitesse (oui oui, tout ce qui s’est passé avant a été effectué dans la plus grande légalité… de l’ile de Man !) On suit la Commando jusqu’au rond-point de Governor’s. La passagère, dont je n’ai vu que la queue de cheval au vent, a le sourire. Le pilote relève la manche de son cuir, regarde sa montre, et s’en va dans le grondement du twin parallèle… Surréaliste. Retour au paddock, j’alpague direct Fred qui n’a pas suivi (en même temps, c’était son premier tour de bécane sur l’ile et dans la montagne, alors que je la lime depuis 4 jours !!!), et lui demande s’il veut s’en acheter une aussi, de Commando…

Sauf que j’ai retrouvé le mec… Ou plutôt la queue de cheval, dans le paddock, le soir même. J’entame donc la conversation avec Miss queue de cheval, valide que le type qui est à côté d’elle est bien le pilote de la Commando… Oui, c’est bien lui. Je lui dis qu’il est débile, que je l’ai vu mourir 10 fois, dont au moins 5 fois dans le même virage… Il rigole, se fout de ma gueule… Il m’a bien remis, le salaud, avec la moto noire hier dans la montagne… On discute, et j’apprends… qu’il a battu ici même Joey Dunlop, fait 3ème en 250 au TT, et gagné le Manx GP il y a 15 ans… Alors, qui du Bon, de la Brute, et du Truand ?

Le Bisounours triste

C’est Tibo qui m’appelle le Bisounours… C’est vrai que même si je pense que l’humain est une sale bête, j’ai une tendance à croire dans les gens comme personne. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil… Mais des fois je me sens très seul. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi ni comment j’en arrive là, mais c’est comme ça. J’aime plus personne, même pas moi. Dans ces moments te reviens à l’esprit ton histoire, ce qui a fait le « truc » que tu es devenu. Je ne sais pas si c’est l’humeur du jour mais j’ai l’impression que se sont plus les mauvais moments qui te forge, jamais les bons.

Je repense à toutes ces fois où j’ai rêvé d’être ici, le plus souvent en colère parce qu’on m’expliquait savamment que ce n’était pas pour moi. Toutes ces fois où je m’imaginais essorer la poignée de gaz sur cette ile de Man pour crier ma colère à un monde qui ne m’attendait pas. Je suis pourtant bien entouré, avec les miens qui me soutiennent quand mon ciel se fait gris, mais… Mais hier soir il m’a manqué une référence, quelqu’un qui me tape sur l’épaule, qui s’assoit à côté de moi et me dise, « Je vais t’aider à aller plus vite, je vais t’aider à aller plus loin dans ton rêve ». Hier soir, j’étais con, et j’ai décidé de ne pas rouler, sur une route partiellement mouillée, parce que ça sentait l’erreur et la punition à plein nez.

Du coup, comme je ne suis qu’un humain, j’étais encore moins content, et je me suis mis au travail. J’ai fait une pause, pour essayer de comprendre tout seul comment aller plus vite. J’ai ouvert mon calepin bleu, celui où toute une année de vie s’écrit, parce que la mémoire me manque depuis un vieux crash et l’absorption de morphine. Et j’ai bossé. La nuit est passée. Comme tous les matins depuis que nous sommes là, la pluie nous a réveillés, mais je savais pourtant que je prendrais le guidon ce soir. J’avais des trucs à essayer. Et c’est passé. Seul problème, j’attendais la montagne pour mettre en œuvre, et je ne me suis pas assez appliqué sur le reste du circuit. A vouloir bien faire, je me suis retrouvé perché sur un serpent de mer à travers les bois, les villages.

J’ai rien lâché, mais j’ai senti que sur cette portion-là, je n’avais plus rien de « Smooth », ni de vite. Je me suis mis debout sur les repose-pieds, je suis sorti de la moto pour récupérer ma trajectoire, j’ai bataillé avec elle, ses suspates affolées, son moteur hurlant. Le compteur a affiché 275 km/h dans le tunnel boisé de Sulby, moteur au rupteur…Tiens maman, j’ai pas coupé. Et je tire un poil court. Mais je n’ai pas su changer mon comportement sur ces deux tours. Le chrono a quand même parlé, en 22’10, puis 21’53, mais je ne suis pas content. J’ai roulé avec ma tête d’homme triste et vengeur, celle-là même qui m’apoussé à me dépasser, mais m’a aussi parfois bien fait déguster. La séance est maintenant digérée, mais ce soir, j’essaie de me calmer, de reprendre un peu pied, et de faire comme toujours : Être heureux avec ce que j’ai…

Pour continuer à suivre les aventures de Momo au Tourist Trophy, rendez-vous à la partie 3 en suivant ce lien : L’AVENTURE DE MOMO AU TOURIST TROPHY – PARTIE 3

Par |Publié le : 8 avril 2022|0 Commentaire|

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