Au Tourist Trophy, on court après le temps. Faire un chrono ou préparer les motos, la montre fond entre les doigts comme dans une peinture de Dalì. Pour le team français Optimark, cela vire à l’obsession et dans ce monde parallèle qu’est l’île de Man, il faut arrêter le temps pour mieux le voir s’échapper.

Une vie au rythme du TT

Quand on vient sur l’île de Man, on mange, dort, roule, respire TT. Pour les mécaniciens et les pilotes, c’est un sacerdoce. Il n’y a pas de fin de journée, une fois les sessions du soir terminées, François, Gwen et Romaric, les mécaniciens du team Optimark, ne pensent qu’à ça, dès que la moto revient avec son pilote. Eux qui avaient froid et qui avaient faim, oublient tout pour débriefer, analyser, modifier, travailler. La cantine y perdra sa voix et sa patience à force de les appeler pour le dernier service.

Le lendemain, 7h, au réveil, François qui s’occupe des réglages de la machine me dit qu’il a mal dormi. Trop froid, trop chaud, mal au dos, « mais c’est surtout que j’ai cogité toute la nuit sur ce qu’il fallait modifier sur la moto ». Une obsession.

Xavier Denis, le pilote, n’est pas beaucoup mieux côté névrose. Il y a 3 motos, 2 mécaniciens, un metteur au point et le papa de Xavier en renfort pour bosser sur ses montures. Pourtant, quand j’arrive sous le barnum du team, je vois le pilote les mains dans un moteur, celui de la Twin : « il faut qu’on le remette bien, pour rouler une session avec et la qualifier », explique-t-il, souriant et heureux comme un gosse avec un jouet.

Les pauses ? Pour Xavier c’est de l’analyse de données sur ordinateur avec François, le metteur au point : “Il t’est arrivé quoi dans ce virage ?”, François a tout de suite repéré une anomalie à la télémétrie, ” tu vois là, elle compresse trop la suspension ” – “Oui, dans ce virage je pense qu’on peut modifier pour que je sois plus à l’aise”, lui rétorque Xavier. 

Les pilotes ont roulé tous les jours cette semaine, le physique encaisse et ce sont les avant-bras qui souffrent le plus, pour Estelle et Clément en sidecar comme Xavier en solo. Il faut se décontracter au maximum, trouver les endroits de l’île qui permettent de récupérer un peu. En attendant, il faut continuer à travailler pour être prêt pour la session suivante. La fatigue attendra.

Le petit suspense

Il est 16h, les haut-parleurs commencent à cracher les appels aux participants pour se présenter au contrôle technique. C’est le moment préféré des spectacteurs, ils peuvent regarder passer dans le paddock, ouvert au public, les machines de leurs héros. À leur guidon, des mécaniciens anxieux du sort qui va leur être réservé à l’accueil du CT.

Le “scrutiner”, l’officiel du TT chargé d’inspecter que tout est en ordre sur la moto, va donner de sa personne pour examiner l’engin sous tous les angles. Ici, on ne rigole pas, le moindre défaut mécanique peut avoir des conséquences dramatiques. Gwen, le mécanicien, ne fait pas trop le malin, je le sens tendu, « ils sont super strictes ». Ça cherche, ça négocie et puis un accord semble trouvé, Gwen rejoint l’autre moto du team qui a passé le contrôle quelques minutes auparavant. « Alors t’as eu droit à quoi toi ? », lâche Gwen à ses camarades, « nous faut qu’on réajuste la suspension arrière, il y a un truc qui ne leur plait pas. Et toi ? », Gwen sourit, un peu soulagé, « moi rien, simplement il ne trouvait pas la petite bouteille pour le trop plein ». 

L’équipe peut se diriger vers le parc fermé. Un univers qui marque la différence entre les castes de la compétition. Installés confortablement sous des barnums attribués, les top teams regardent « les autres » s’installer là où ils trouvent de la place en face d’eux. « Premier arrivé, premier servi, alors il faut venir tôt pour avoir une bonne place, c’est la jungle ! », m’explique Jean-Marc Rummler le team manager d’Optimark, « mais on finit par toujours se mettre au même endroit, au bout d’un moment, faut juste pas être en retard », conclut-il. 

Le parc fermé, c’est l’anti-chambre avant la “grid” d’où le pilote s’élance pour son tour Ici, la routine est là même que sur circuit : les pneus sont placés sous les couvertures chauffantes et ont fait gentiment tourner les moteurs, pour qu’ils restent chauds, « ça permet aussi de tout garder en place et d’avoir les liquides qui circulent bien », m’explique Romaric, l’un des trois mécaniciens du team Optimark.

Le temps des sourires

Estelle et Clément sont en place, déjà casqués, déjà dans une bulle de concentration. Quelques étirements, Clément semble visualiser son tracé et Estelle échange sur les conditions de piste avec son père, ancien pilote de side, et Xavier. C’est le moment de la mise en place, avec une dernière grimace du papa en guise de rituel, qui doit aussi permettre de désacraliser le départ.

La séance se passe sans accroc aujourd’hui. Le sidecar enchaîne deux tours complets sans s’arrêter pour accumuler un maximum de roulage et prendre la mesure du rythme nécessaire pour tenir la course, qui compte trois tours. 

L’équipage rentre enfin et même sous le casque, la pilote et son équipier Clément affichent un grand sourire, « c’était bien ! Ça fait du bien à la tête ! », Estelle est ravie et surtout soulagée, car les nouveaux réglages ont porté leurs fruits, «  c’est mieux qu’hier et j’espère moins bien que demain ! », s’amuse la pilote toujours soucieuse de s’améliorer.

Son passager rookie, Clément, est lui aussi ravi, « oui, enchainer deux tours, ce n’est pas la même, quand tu arrives dans la ligne droite de Grand Stand, tu sais que tu repars pour un tour. Il faut physiquement être prêt et rester concentré », explique-t-il en se frottant le bras. Dans son panier, le singe prend des coups comme un boxer sur un ring, mais Clément est solide et encaisse avec bonne humeur. Un peu maso, tant que le side va vite !

Satisfaits, mais pas rassasiés, ils repartent dans le paddock pour bosser sur le side et changer de moteur. « Maintenant qu’on a nos repères, on va mettre un peu plus de puissance pour voir ce que ça donne, et puis mettre la pression aux gars de devant. On va leur montrer ! », s’exclame Estelle, facétieuse et remontée à bloc.

Le temps de la confiance retrouvée

Xavier aussi enchaîne les tours. Avec la 1000 Superbike, il fait deux tours, mais il en a plein les bras et commence à fatiguer. La moto n’est pas encore bien réglée et il n’est pas confortable avec, pour le moment. À peine revenu au parc fermé, il discute avec François, le metteur au point. Les traits du visage tirés en disent long. La moto bouge du train avant, Xavier n’est pas en confiance et l’inquiétude s’installe. L’équipe cherche des solutions pour améliorer la situation et aider son pilote.

Mais au TT tout va vite, sur la piste comme dans les paddocks. La deuxième session s’annonce déjà et pour Xavier, il faut repartir avec la 600 Supersport cette fois. C’est la première fois cette année, qu’il va tourner avec sur l’ile. La faute à un moteur récalcitrant jusque-là. Il repart courbaturé de douleurs et pas franchement convaincu par l’utilité de rouler. Pourtant, il va enchainer deux tours.

C’est le chrono va vite tout changer. Xavier fait un tour en 19 min et 10 secondes, c’est le 17e temps, une très jolie performance sur une machine qu’il connait mal. Fin de session, retour dans les stands, l’équipe lui saute dessus, Xavier est heureux. Il enlève le casque, la tension a disparu, « ce n’est pas la même là ! », la petite 600 se comporte à son goût, les réglages sont bons et Xavier reprend confiance,« j’étais inquiet, je ne me trouvais pas dedans, et là, tout de suite j’avais la moto bien en mains ! J’ai oublié la douleur, la fatigue et j’ai pris un vrai plaisir ! », raconte le pilote Optimark. Cette fois, le débrief sera une belle accolade avec son équipe.

Il est 21 h, la session du jour est terminée et l’équipe retourne dans le paddock. Mais le TT est exigeant et n’aime pas les fainéants. Il faut donc s’occuper des motos et les préparer pour demain, déjà. Xavier et François analysent ensemble les données de la télémétrie pour peaufiner les réglages pendant que Gwen et Romaric s’afférent sur la mécanique. « Il vaut mieux travailler maintenant, pour avoir toute la nuit en cas de pépin », m’explique Romaric. Tout ira bien, mais la journée se terminera tard dans la nuit, la course approche et le temps veut toujours faire la course sur l’île.

Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.

Par |Publié le : 4 juin 2022|0 Commentaire|

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