Il y a une ambiance un peu pesante ce matin dans le paddock. Les visages sont fermés et une certaine tension est palpable. Les Français sont encore endeuillés par la mort de l’un des leurs samedi. Pudiques et taiseux, c’est leur silence qui parle pour eux. Pourtant, sur l’île de Man, le Tourist Trophy continue d’avancer course après course, quoiqu’il advienne. 

Une histoire de frangins

En me dirigeant vers le parc fermé pour le départ de la course des 600 Supersport, je croise Ángel le team manager espagnol de l’équipe sœur d’Optimark. Derrière sa grosse barbe et sous sa casquette, Ángel a une sale mine : « Je suis toujours très nerveux avant le départ », m’explique-t-il très gentiment avec une voix tremblotante. C’est son frangin Raùl qui est sur la bécane, « à chaque fois, je le vois jouer avec sa vie, et ce n’est pas simple à gérer ici. Les autres courses, je m’en fiche, mais ici, c’est vraiment différent ». D’ailleurs les frangins n’ont pas dit à leur mère les horaires des courses, pour la protéger.

Lors de la mise en grille, Raùl est concentré, il a le masque et son rituel, c’est de faire le signe de croix à plusieurs reprises. Ángel l’observe, ne le parle pas trop, le laisse dans sa bulle. Les deux frangins connaissent bien cette routine, mais rien n’y fait, le stress s’installe malgré eux. 

Une atmosphère pesante

À chacun son truc, son rituel, sa méthode. Julien Toniutti se glisse très tôt dans sa bulle. Un simple regard en guise de bonjour, et il préfère se mettre en retrait pour être tranquille. « C’est bien, il se concentre à fond », me lâche Jean-Marc, le boss d’Optimark qui le connait bien. Son pilote à lui, Xavier, est habituellement décontracté. Mais aujourd’hui, il est un peu plus fermé et moins bavard. Il sait qu’il a un bon coup à jouer avec sa petite 600 qui lui convient bien, et il doit se faire pardonner le petit incident de samedi.

Pour cette première course de la semaine, Xavier, Julien, Timothée ou encore Pierre-Yves, tous les Français ont encore en tête l’accident mortel de samedi qui leur a enlevé un camarade. Le TT est dangereux, mais pour être là, tous ont accepté l’idée. 

Les pilotes ont un avantage sur les autres : ils se concentrent sur leur pilotage. Les mécaniciens, eux, doivent se concentrer sur les quelques tâches qu’ils peuvent encore avoir à faire sur une moto prête depuis de longues minutes : « Tu finis par comprendre que ça ne sert à rien de stresser. La première fois, tu veux tout bien faire, tu te mets la pression », explique Romaric l’un des mécaniciens d’Optimark, « maintenant, si j’ai les mains moites, j’ai un chiffon dans la poche, je les essuie et je continue à faire mon travail calmement ».

Tous rationalisent, comme pour se protéger avec pudeur. Thierry, le papa de Xavier, se retrouve plus exposé que les autres. Il me lâche un petit sourire crispé, mais paraît toujours avoir à faire sur la moto : « je reste occupé, certainement ma manière de gérer ça ».

Drapeau rouge : ce que tu sais, c’est que tu ne sais rien

La course est lancée, mais elle sera courte, seulement 3 tours au lieu de 4, pour que les side-cars puissent reprendre la course de samedi.

Je me suis absenté cinq minutes pour un pit-stop personnel et en revenant je tombe sur Anaïs devant le bureau des officiels. Elle s’occupe de la communication du team, mais c’est surtout elle qui suit l’évolution de Xavier sur la piste, via le live timing du site officiel sur internet. « On n’a que ça. Auparavant, il y avait un grand tableau devant Grand stand qui donnait les positions, les temps et les vitesses des concurrents. Mais je ne sais pas ce qu’ils ont fait, on n’a plus rien ».

À la place, ce sont les images TV sur deux écrans. Une diffusion en direct, mais avec plusieurs secondes de décalage, au cas où. Justement, il y a eu drapeau rouge, la TV ne montre rien et les équipes ne savent rien. Les coureurs ont été arrêtés sur le tracé sans qu’on sache qui est où.

Anaïs est allée au bureau des officiels pour savoir si Xavier est impliqué dans l’accident qui vient d’avoir lieu. Le retirement Office traque chaque pilote sur les 60 km du tracé. Les balises GPS permettent de connaitre la position d’un pilote en temps réel. Mais surtout, ce sont les marshalls qui donnent les meilleures informations sur les pilotes qui sont dans leur secteur. Encore faut-il les avoir au téléphone.

Anaïs a réussi à obtenir des nouvelles, elle retourne au pas de charge vers le stand, où se trouve Thierry, le papa de Xavier. Son visage laisse transpirer son inquiétude. Avec Estelle, ils attendent un coup de fil de Xavier. S’ils sont bloqués à un endroit du circuit, les pilotes cherchent rapidement à emprunter un téléphone à un marshall ou à un spectateur, pour prévenir leurs proches que tout va bien, si tout va bien.

En attendant, c’est l’angoisse qui monte. En arrière-plan, le vainqueur reçoit son trophée et God save the queen retentit dans l’air. Michael Dunlop a remporté la course avant l’incident. Le TT trace quoiqu’il arrive.

Anaïs retrouve la troupe et annonce que Xavier va bien, selon les officiels. Thierry se détend, François, le metteur au point, lâche un long soupir de soulagement lui aussi, « quand c’est comme ça, tu penses à rien, surtout pas au pire. Mais c’est vrai que quand c’est le drapeau rouge, c’est une grosse inquiétude malgré tout », m’explique-t-il en abandonnant quelques instants son personnage de bourru. 

Estelle, la pilote de sidecar, qui est aussi la compagne de Xavier, reste anxieuse. Elle ne va pas tarder à être à court d’ongles quand un appel d’un numéro inconnu vient sauver ses doigts. C’est Xavier, tout va bien, il est passé au travers de l’accident qui a provoqué le drapeau rouge. Quelques débris ont abimé le sabot de la moto, mais rien que Romaric ne pourra réparer avec de la résine.

Maintenant, il va falloir que Xavier attende qu’un marshall à moto le raccompagne vers le paddock, avec un convoi de pilotes. Parfois, à certains endroits, ils peuvent simplement reprendre la route ouverte et rentrer tranquillement dans le trafic.

Le TT est un ogre

Le Tourist Trophy ne laisse pas le temps de cogiter, et ce n’est peut-être pas plus mal. Les mécanos filent au paddock préparer la 1000 pour la course suivante, pendant qu’Estelle et son papa remontent leur side vers la grille pour prendre le départ. 

Le weekend a été long pour eux et tous les pilotes de side-cars. Mais ils sont tous là, fidèles à leur engagement envers le TT. Peu importe ce qu’il s’est passé. Je suis même étonné, de voir un peu de douceur avant le départ sur les visages. Les rituels sont là : les embrassades, les étirements et les grimaces. Et puis, juste avant le départ, le petit hommage discret, sobre, sincère, touchant. Un petit mot pour Olivier qui devient ainsi leur passager. 

La journée aurait pu se terminer en douceur, bon gré mal gré. Mais un pépin sur le side-car d’Estelle et Clément, le fil qui est attaché au pilote pour faire coupe-circuit en cas de chute, va poser un problème. Ils devront s’arrêter et ne seront pas autorisés à repartir. Une frustration qui sera une broutille quand une autre nouvelle va tomber via le bouche-à-oreille du paddock : Davy Morgan, expérimenté pilote, s’est tué dans l’accident de ce matin.

Au TT le risque n’est pas un jeu ou un fantasme, il est réel. S’il est accepté par tous, il laisse une détresse immense quand il vient prendre la vie de ceux qui se sont mis au défi de braver l’île de Man.  

Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.

Par |Publié le : 6 juin 2022|4 Commentaires|

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4 Commentaires

  1. BuBulle 12 juin 2022 à 16h50-Répondre

    Merci pour cet excellent article. Son seul défaut : beaucoup trop court :)

  2. Philippe Rabault 7 juin 2022 à 15h15-Répondre

    Très bon article. Merci !

  3. Desnos 6 juin 2022 à 23h05-Répondre

    Très jolie article on est dessus pour des nouvelles

  4. Peulen 6 juin 2022 à 22h26-Répondre

    Bonjour, ai toujours suivi le TT de loin et quand je dis de loin, c’est toujours via internet et toujours en retard, mais jamais aux grands jamais je n’ai ressenti les émotions que vous parvenez a nous faire passer.
    Il est toujours triste d’apprendre les mauvaises nouvelles, mais le TT reste une course ou tous pilotes, toutes familles sont au courant des risques pris lors de l’épreuve, qu’ils soient pilotes, mécanos, pères, mères, amis …. Tous sont de véritables gladiateurs, des combattants prêt tout pour réaliser un rêve.
    Bravo a toutes et tous.

    Eric

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