Imaginez, les paysages défilent à toute vitesse, vous traversez les petits villages anglais aux maisons blanches à fond de sixième. Vous vous concentrez pour lire toutes les imperfections de la route, les bosses, les virages qui vous sautent au visage et le soleil qui vous brule les yeux à chaque fois que vous sortez d’un petit sous bois. Et là, paf ! Un énorme moustique vient s’écraser en plein milieu de votre visière, pour tenir compagnie aux 50 autres déjà installés. Voir la route devient un problème. Alors comment gèrent les pilotes ? 

Tear-off

Le tear-off, c’est ce filme plastique qui se colle à la visière pour la protéger des saletés. Quand il est couvert d’insectes, le pilote l’arrache (d’où le nom tear-off) pour retrouver une visière propre. « Je l’enlève une fois que j’ai passé Ramsey », explique Xavier Denis, le pilote du team Optimark « comme ça j’attaque la partie rapide de la montagne avec une vision claire. C’est important parce qu’il y a pas mal de turbulences et ça devient vite compliqué pour y voir clair entre les bestioles ! », s’amuse Xavier.

Lui, ne met qu’un seul tear-off, « je trouve que ça déforme la vision si tu en mets plusieurs, tu finis par avoir du mal à voir les perspectives ». Mais chaque pilote à sa préférence. Son compatriote, Julien Toniutti, en met plusieurs : “je préfère prendre le risque d’avoir une petite bulle d’air, que d’être couvert de moustiques et de ne plus rien voir”.

Des petits et des gros moustiques, des bourdons, et parfois des oiseaux, le casque en prend plein la gueule. « Il ne faut surtout pas étaler la confiture ! Tu laisses comme ça, tu ne peux rien faire », explique Xavier. Seule solution pour lui, une fois son seul tear-off arraché, attendre le ravitaillement.

Arrêt au stand

Le passage par les stands permet à l’équipe de changer la visière du casque du pilote. « Habituellement, je change à chaque arrêt, mais cette année, je n’en ai pas assez, alors les gars me la nettoient simplement », raconte Xavier, le pilote Optimark. Pendant qu’un mécanicien rempli le réservoir d’essence et qu’un autre s’occupe de nettoyer la bulle, un troisième change la visière du casque. Le tout, en moins de 30 secondes.

Il faut donc avoir un geste assuré et ne pas laisser de place pour la moindre erreur, « je m’en occupais avant, mais je n’aime pas le système du nouveau casque, je ne suis pas à l’aise donc j’ai laissé ma place à un autre », explique Romaric l’un des mécaniciens du team Optimark.

« D’ailleurs, c’est le seul moment où l’on voit les yeux du pilote. Tu vois son regard, c’est dingue, il est hyper froid, dur », se rappelle Romaric qui est toujours étonné par l’intensité de la concentration du pilote, méconnaissable lorsqu’il est dans sa course. 

Bien derrière sa bulle 

La bulle aussi, en prend plein la quiche, comme on dit. Les pilotes sont parfois obligés de se relever « pour n’avoir qu’une seule couche d’insectes ! », raconte le Xavier Denis, le pilote Optimark, « sauf que du coup ça bouge encore plus, ça te ralentit à cause de la prise au vent, tu n’as pas ta position habituelle ». Un effet loin d’être anodin puisque le pilote peut vite perdre 20 secondes en roulant 4-5 km/h moins vite sur un tour. Tout ça pour un moustique écrasé.

L’autre effet, c’est aussi une fatigue qui entre en jeu plus vite, « tu as la tête qui bouge, les trapèzes qui travaillent beaucoup », décrit Xavier. Le réservoir est plus gros que sur les courses d’endurance, il est plus difficile pour lui de se cacher derrière la bulle qui est plus petite. « En plus, ce n’est jamais vraiment une ligne droite, tu sors toujours un peu la tête, tu n’es jamais complètement caché, ta vision se trouble ».

L’aérodynamisme du casque est donc aussi important, il permet à la tête de ne pas bouger avec le vent et donc de conserver une vision claire des choses. ” Tu es rarement en dessous de 220 km/h, c’est vite épuisant !”.

Un tour en clair-obscur

Le tracé de l’île de man est aussi piégeux à cause des variations de luminosité. Les pilotes ont à disposition 3 teintes d’écran : fumée, semi-fumée et claire. « La visière fumée je ne peux pas l’utiliser, car elle est trop sombre pour beaucoup d’endroits du circuit et j’ai des effets de contraste bizarre, c’est peut-être lié à l’épaisseur de la visière ». Le tracé passe dans des portions cachées du soleil par les arbres, puis quelques dizaines de kilomètres plus loin, il est noyé de lumière.

La première semaine, les essais se font le soir avec une lumière rasante qui provoque encore plus de contrastes. « Le problème, c’est que sous les arbres à Balla Craine et Sarah’s Cottage, par exemple, c’est très sombre et tu ressors dans la lumière, la différence est plus forte qu’en journée », explique Xavier Denis le pilote Optimark, « c’est moins marqué pendant les courses, car elles ont lieu en journée et ça change ta perception de la piste du coup ». Même chose entre Bishopscourt et Kirkmichael où des puits de lumière transpercent les arbres et viennent éblouir les pilotes dont l’oeil n’a pas le temps de s’adapter au changement de luminosité.

Le soleil couchant pose aussi plus de problèmes à certains endroits du tracé, notamment au niveau de la montagne, après Ramsey, où les pilotes le prennent en plein visage. « Il faut trouver un équilibre entre une visière claire pour les parties couvertes par les arbres et une visière complètement fumée pour se protéger les yeux dans la montagne », conclut Xavier. Je lui ai proposé mes lunettes de soleil, mais il m’a regardé bizarrement, pensant que je me moquais de lui.

Le soleil couchant pose aussi plus de problèmes à certains endroits du tracé, notamment au niveau de la montagne, après Ramsey, où les pilotes le prennent en plein visage. « Il faut trouver un équilibre entre une visière claire pour les parties couvertes par les arbres et une visière complètement fumée pour se protéger les yeux dans la montagne », et pour Xavier, c’est une difficulté en plus pour bien lire la route. Pour lui simplifier la vie, je lui ai proposé mes lunettes de soleil, mais il m’a regardé bizarrement.

Prendre soin de son casque

Xavier, comme la plupart des pilotes français, s’occupe lui-même de son casque, « parfois, quelqu’un de l’équipe le nettoie entre deux sessions pour me faire gagner du temps ». Par contre, la préparation de la visière n’est jamais déléguée « c’est un peu trop particulier » explique le pilote Optimark. Même chose pour Estelle, en side-car. Je la trouve dans le garage en train de fixer ses tear-off soigneusement : « Je rajoute un bout de scotch américain au bout, pour réussir à bien l’attraper quand je pilote. Sinon, je demande à Clément (son équipier) de m’aider s’il voit que je galère », raconte la pilote française. 

Les pilotes qui sont équipés en casques Araï sont un peu mieux lotis au TT. L’équipementier possède une grande tente qui abrite un Race Service gratuit pour s’occuper des casques des pilotes.  Après une course, c’est donc le défilé avec les top teams qui envoient un Aide de camp pour déposer parfois 2 ou 3 casques en même temps.

Martin, responsable du SAV, m’explique la manœuvre : les casques sont nettoyés dans les moindres recoins, parfois au coton de tige. « On nettoie la visière, on remet un traitement anti-buée, puis on met les tear-off ».

Chaque pilote possède ses habitudes : 1, 2 ou 3 tear-off, qu’il enlève par la droite ou par la gauche, ou un coup de chaque côté. Sous la tente, Martin connait les habitudes de chacun, « on pose les tear-off de telle manière que cela n’altère pas leur vision », m’assure le technicien Araï. Enfin, il pose des petits bouts de scotch pour que le tear-off ne se décroche pas à haute vitesse. 

5 minutes plus tard, le casque est posé le temps que les produits sèchent et l’assistant(e) viendra récupérer le heaume de son pilote.« Je préfère m’en occuper tout seul », m’avoue Julien Toniutti, « au moins, s’il y a quelque chose qui ne va pas, je suis le seul responsable », conclut-il. 

Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.

Par |Publié le : 7 juin 2022|1 Commentaire|

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Un commentaire

  1. Kowalewski 9 juin 2022 à 9h45-Répondre

    Merci

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