KAP 2 DAKOEUR – Episode 2

C’est moche mais c’est comme ça. Je me suis fait balancer. Et oui comme je te l’écris. Sache que l’on m’a dénoncé. Mais bon au moins, ça m’aura permis de voir clair sur la façon dont certains me voient.

Avec ma petite Yamaha AG 100 en route vers Dakar, j’avais prévu trois étapes afin de rejoindre Sète depuis Paris. Une première étape de 400 bornes vers Niort pour aller filmer des nids de cigognes vides … enfin presque hein. Puis de Niort à Cahors et enfin de Cahors à Sète. Le tout uniquement (100 cm3 et vitesse de pointe ridicule obligent) par les petites routes. J’avoue, du côté de Tours, j’ai hésité. L’autoroute traverse la ville et est ultra limité dans cette portion. Alors, j’ai craqué, histoire de gagner un temps précieux. Je m’y suis engagé.

Attention hein pas n’importe comment. Tel un pilote de Moto3, en prenant la bretelle d’entrée, j’ai bien fait attention à repérer un gros 38 tonnes bien lent et je me suis calé dans son aspi, mi gaz, en sifflotant sous mon casque, à quelques mètres de lui. Ultra efficace pour rester dans le rythme du flot routier et au moins, si on me percute, on ne pourra pas dire qu’on ne m’avait pas vu. Un peu plus loin, j’ai pris l’embranchement vers Chateaudun et je suis sorti à la première bretelle qui faisait aussi office de station essence. Tranquillou (ça allait pas changer grand chose sur mon chrono du jour), j’ai fait le plein et là, qui je vois arriver ? La marée chaussée dans un gros 4×4 à ne pas garer dans Paris.

Coup d’œil sur ma tronche, les trois portes s’ouvrent en même temps, façon le sketch des inconnus. Air sérieux, regard inquisiteur, j’étais assurément un gros poisson (c’est vrai que j’impressionne au naturel). « Permis de conduire ? ». Je ne m’étends pas sur le fait, que côté « solde de points », ça devient un peu tendu en ce moment, et présente mon bon vieux trois volets rose (j’assume). « On nous a signalé un véhicule tout petit sur la bande d’arrêt d’urgence hyper chargé. » J’ai pas pu nier, ça me ressemblait un peu trop. J’ai lancé un rassurant : « Les gens s’inquiètent pour rien, vous trouvez pas ?»

Là, le regard d’un des trois s’est illuminé. J’ai dit une connerie ou quoi ? Apparemment, c’était plutôt « ou quoi ». « Mais c’est Laurent Cochet? ». Heu oui chef. Et là, le gars se met à oublier ses galons et commence à raconter toutes mes aventures à ses collègues qui j’en suis, à leur mine décontenancée, s’en contrefoutaient. J’avoue que même moi, ça m’a un peu gêné. Le gars finit par me demander: « et tu roules à combien? ». Mon nez s’est allongé, j’ai quand même osé répondre « 90 km/h ». Ça a eu l’air de les satisfaire.

Mais comme pour me tirer une balle dans le pied, j’ai rajouté deux ou trois arguments à la con. Du genre: « je fais des tests pour le jour où l’autoroute sera limité à 90 pour sauver la planète ». Ou encore: « vous savez, file de droite, je roule pas moins vite que toutes ces bagnoles électriques qui sont en PLS et prient pour atteindre la prochaine recharge et que celle-ci soit: Réponse A:libre. Réponse B – pas hors service – Réponse C: pas à côté des chiottes. » Mes trois inspecteurs ont acquiescé et m’ont posé une ultime question: « Et tu vas où comme ça ?». J’aurais pu répondre quelque chose de simple, facile, d’évident. Histoire de les rassurer. Du genre: « Ah là ? Bah, je suis quasiment arrivé. Il me reste deux bornes, d’ailleurs ma tante m’attend pour diner. » Mais non, il a fallu que je retourne le flingue contre moi et que me tire dessus. A bout portant avec un fier: « Dakar, Sénégal».

Là, alors que je pensais être mort, avoir vacillé dans l’autre monde, mon fan m’a déclaré: « t’es quand même le spécialiste des plans galères, toi non? » Heu … j’étais vexé, t’imagines même pas. Ha ouais, c’est donc comme ça que tu me vois? C’est comme ça que, tous,  vous me voyez? Alors que moi, je passe mon temps à te montrer que n’importe quelle moto peut faire l’affaire pour aller à l’autre bout du Monde. Ne nie pas, j’en ai la preuve car cette vision que tu as de moi, s’est rapidement confirmée. Comme j’avais lu sur internet que les nids de cigognes étaient fréquents dans le marais poitevin du côté de Coulon, j’y suis allé. Des nids de cigognes vides, ça me ferait un bon point de départ pour ensuite suivre la route ouest de la migration de ce majestueux oiseau jusqu’à Dakar. Arrivé à Coulon, rien. J’ai eu beau rouler le nez en l’air, rien qui ressemble à un nid d’oiseau taille XXL. En baissant un peu le nez, j’aperçois une autochtone, une petite dame qui jardine. Je lui présente mes hommages et lui demande où pourrais-je donc observer ce surprenant eco système. Fort aimable, elle me rétorque un: « maso ». Heu, bon … ça commence à faire beaucoup là sur le plan des reproches. D’autant qu’on se connaît peu et que mon jeune âge n’empêche pas le respect.

Je cherche à en savoir un peu plus quand elle m’explique que « non, en fait maso, c’est le nom d’un village. Mazeau. M. A. Z. E. A. U. ». « Ha ok, j’avais mal compris. Et c’est où ça? ». « à une dizaine de kilomètres d’ici. Mon fils y est passé hier. Il m’a dit que les cigognes étaient déjà de retour ! » Et pan, une porte de plus qui se fermait dans ma gueule. J’ai gentiment remercié sans rien laisser percevoir de mon agacement envers cette aventure. J’aurais du m’en douter. A cause du réchauffement climatique, les cigognes sont déjà de retour. Et même de plus en plus tôt. Voire, elles ne migrent plus du tout et se font sédentaires. J’ai donc pris la direction de moi-même (Mazeau) et suivi une petite route le long de la Sèvres niortaise, quand là, face à moi, alors que j’allais négocier un virage droite 90 au péril de ma vie (mon AG 100 tient la route aussi bien qu’un side-car) au loin, dans un champ, ils étaient là. Des nids de cigognes tout en haut des arbres. Oui mais avec des cigognes dedans … qui caquètent et se foutent visiblement de ma gueule. J’ai quand même fait quelques images, je les ai traitées de frileuses, de fainéantes, de jouer double jeu comme les retraités, profitant des avantages du Maroc et de la France en même temps, et … j’ai tourné les talons devant ce pitoyable spectacle et je me suis cassé. Sans même leur dire au revoir.

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