Journal de Bord

Momo au Manx GP 2014

Les rêves ont la peau dure, comme celle des gladiateurs. On entend souvent que ceux des temps modernes roulent sur l’île de Man. C’est une connerie. Voici le premier morceau de l’histoire d’un tout petit motard qui rêvait de faire le Tourist Trophy, tiré de son journal de bord et écrit chaque soir dans le paddock du Manx Grand Prix, l’antichambre du TT, qui a lieu en août sur le même… « Circuit ».

Viens, je m’emmène…

Un dimanche comme les autres, chez mes parents. J’ai dix ou onze ans, et je dors à poings fermés dans mon lit quand un hurlement déchire le silence de la maison. Un cri strident, suraigu, fait vibrer les fenêtres, déguerpir le chat et gueuler ma mère. Mon père a branché la stéréo dans le salon, à bloc, et a mis sa K7 audio préférée, celle dans la jaquette rouge et blanche : Tourist Trophy 1966. Il est 9h, Mike Hailwood vient de traverser Bray Hill et mon salon, à fond sur sa Honda 6, suivi de près par la MV d’Ago. La voix nasillarde des commentateurs anglais commence sa mélopée sur fond de passage de 4ᵉ à 18 000 tr/min. C’était comme ça, les réveils, chez nous… alors comment voulais-tu que ça se passe autrement ?

On est environ toutes ces années plus tard, toutes ces années à regarder les autres, à apprendre la mécanique, à faire ses premiers tours de deux roues… La première mob, la première 125, le premier 4 temps, la première bielle, la première sportive, le premier genou par terre, la première pelle, le premier cadre plié… Mais toujours ce même rêve : Rouler un jour sur l’île de Man, dans les traces d’Hailwood, McGuinness, et Dunlop. Dans quelques jours, je prendrai le bateau en direction de Douglas, la capitale Mannoise, pour la première fois en tant que participant. Le Manx Grand Prix et le Mountain Circuit m’attendent, et j’aimerais te raconter l’histoire d’un p’tit con qui voulait faire une grosse course.

Une histoire dont je ne connais pas la fin. Pas par prétention, mais pour partager mes impressions sur cette île qui représente beaucoup à mes yeux, et aussi parce que j’aimerais qu’un môme tombe dessus et se dise que même en partant de pas grand-chose, il y a toujours un espoir, un chemin pour atteindre son rêve. Même si son rêve est complètement con. Et parce que j’aurais aimé être ce môme à qui on ait dit : Vas-y, ça doit être possible. Ce sera ni du Baudelaire, ni Fast and Furious. Ce sera l’histoire d’un gars comme y ‘en a 3 ou 4 milliards, qui a un travail, une femme, des copains, mais qui avait dit à sa mère qu’il roulerait là-bas un jour, du haut de ses 11 ans. Un gars qui s’apprête à tenir parole aujourd’hui, même s’il a une putain de boule au ventre…

Cap to Douglas

Après 1000 km, deux bateaux, une fuite de turbo sur le camion (merci Yvon pour la réparation !), nous avons enfin posé le pied sur l’ile de Man. Un gros team : ma femme Céline, mon frangin Jessy, et mon pote Tibo, qui a fait le voyage en avion, la camionnette n’ayant que trois places.

La boule au ventre qui me tenait depuis le départ s’est envolée en arrivant ici. À force de parler des virages, des murets, des villages, l’endroit est presque familier. Et la peur de ne pas arriver à laisser place à une certitude débile : je suis ici chez moi. Pas parce que ça ressemble à mon morne Berry natal, pas parce que l’esprit des lieux me transporte, non… Mais parce que je suis à l’endroit précis où je veux être, peut-être pour la première fois. Pour faire ce que je voulais faire et arrêter de le rêver.

Première étape, l’installation dans le paddock, déjà plein comme un œuf en ce jeudi soir. Dans le bas, un carré d’herbe a résisté aux envahisseurs venus de toute l’Europe, mais aussi de Nouvelle-Zélande, d’Australie et des États-Unis. Un motorhome immense est en train de s’y ancrer et sa plaque d’immatriculation parle pour lui : JM IOM TT. John McGuinness, LA légende vivante du Tourist Trophy, avec 21 victoires au compteur, habitera juste à côté de nous pour cette quinzaine du Manx GP. Ici, tout le monde se côtoie, petits et grands.

Vendredi matin, premier tour en moto, sur mon ZX6R juste équipé d’une plaque d’immatriculation et de mes feux avant de rallye. Je nage tellement dans le pognon que ma moto de course, ben, c’est la moto qui me conduit au taf toute la semaine et sur les rallyes le week-end… Derrière, Jessy trimbale Tibo sur son fidèle 500 CB. Premiers kilomètres et premières hallucinations… Le tracé est vraiment un truc de cinglé. Dénivelés, courbes ultra rapides en aveugle, c’est déjà quelque chose en respectant les limitations de vitesses (ou presque). Un arrêt à Barregarow pour faire une bise à Glynne, chez qui nous avons logés lors de nos trois pèlerinages en tant que spectateur. Un bon moment d’amitié et quelques conseils plus tard, direction la montagne. Un vent de malade souffle et me déstabilise passé les 160 km/h. Dingue…

Retour au stand, où Céline et Pimente nous ont attendus. On discute, on débriefe et bordel… Il n’y a pas de mots pour décrire ces 60 km. La qualif, qui parait accessible sur le papier, ne sera pas une mince affaire. Impossible de se projeter à rouler à plus de 200 km/h ici, sur cette route qui ne ressemble à aucune autre… Samedi soir, ce sera l’heure des premiers essais. Je ne sais pas comment va se passer cette quinzaine du Manx Grand Prix, mais je vais prendre le tracé avec une grande humilité, rouler à mon rythme, et je sais déjà que je vais revenir avec encore plus de respect et d’admiration pour les pilotes qui ont forgé la légende du Mountain Circuit…

Je me suis trompé de titre…

Je suis tout petit. Je suis minuscule. Et je me suis trompé de titre… Dans la journée, il y a toujours un moment où je pense à toi, à ce que je vais te raconter. Là, j’avais trouvé un titre pour l’article, c’était « Maman, j’ai sauté à Ballaugh Bridge », en m’imaginant raconter à ma mère mon premier tour sur l’ile de Man. Je pensais que ce serait le fait marquant de ce tour « sous vitesse contrôlée », où on part par paquet de 7 derrière un ancien pilote (le marshall) pour découvrir le circuit. En fait, le vrai titre, c’est « Maman, j’ai coupé dans Sulby ». Sauf que Sulby est une ligne droite… Et que j’ai coupé. Sous les arbres, à fond depuis plus d’un kilomètre, secoué comme un prunier, j’ai rendu la main parce que ça allait trop vite pour moi. Dans une ligne droite… Meeeeeeeerrrrrrdddeeeeeee !!!!!!!!!!!!

C’était pourtant déjà très riche en émotion avant de partir. Pimente qui fout les larmes aux yeux de Céline. Tibo et Jessy dans la ligne droite des stands sous les drapeaux qui flottent, et devant moi, la file des pilotes qui attendent, eux aussi, de « savoir ». Départ, tranquillement quand même, sur au moins… 300 m. Je déteste suivre et mets une petite distance de sécurité avec le mec de devant. Immédiatement, deux pilotes me doublent pour être dans la roue du Marshall, qui nous montre les trajectoires. Je laisse faire, et, progressivement, tout va vite, très vite, trop vite.

Devant, l’ouvreur est droit comme I sur son R1, enroule proprement les virages les uns après les autres. Derrière, j’en chie pour arriver à suivre, me fait décrocher, reviens. Je suis en train de vivre l’expérience la plus dingue, la plus incroyable, la plus effrayante de ma vie. Vous pouvez penser que j’en fais des caisses, mais je vous jure qu’il n’y a même pas de mot pour réussir à vous décrire ce que j’ai vécu pendant ces 24 minutes 30. Tout m’est passé par la tête, joie, adrénaline, déception, crainte, hallucination. Bref, même si j’ai sauté à Ballaugh Bridge comme prévu, j’ai aussi coupé dans la ligne droite de Sulby, parce que c’était trop vite, trop bosselé. Imaginez-vous à 230 km/h dans un tunnel d’arbre et que la moto vous secoue comme un prunier…

Le Marshall a quand même eu la délicatesse de couper à certains endroits, histoire que tout le monde puisse le ramarrer. The Nook, Governor’s Bridge et la ligne d’arrivée. Je garderais pour moi ce qui s’est passé sous mon casque à ce moment-là. J’ai fait mon tour sur l’ile de Man. Je pensais être le seul à avoir halluciné, mais heureusement non. Julien Toniutti, notre référence en rallye, a aussi pris une claque. Et je crois qu’on a tous bien mal à la joue…
Je suis allé le voir à la fin de ce tour, plein de doutes et les yeux collés au fond du crâne. Blanc comme sa R6 de laquelle il n’est pas descendu, il me lâche « Non mais là… Le rallye, c’est un truc pour enfant… J’ai l’impression de ne pas savoir faire de moto ! ». Ça me rassure qu’il soit dans cet état, et je me dis que du coup, la joue rouge, ça doit être normal…

En un tour, nous avons compris pourquoi ce tracé est légendaire : il n’y a aucun autre endroit dans le monde n’offre la possibilité de faire ça. « Faire ça », c’est rouler à des vitesses incroyables en se jetant dans des virages aveugles, juste parce qu’on sait que c’est là… Encore plus que la vitesse de ce premier tour, les possibilités que le circuit donne sont hors du commun. Rien que de l’imaginer file froid dans le dos. On est tous là, dans le paddock, entre français, à se raconter « notre » tour. On en a tous rêvé, on s’est tous battus pour le faire, et on était tous à des lieues d’imaginer ce que ça pouvait être.
Et on n’en revient toujours pas.

Du travail, du travail, et encore du travail. J’en arrive à cette seule et dernière conclusion. Pour réussir à refaire ce 24 min 30 au tour (qui me qualifierait uniquement pour la course Newcomer) mais sans Marshall devant moi, je dois bosser. Pour rouler en sécurité, à défaut d’être vite, même si tout va déjà très vite sur la moto, je dois savoir où mettre les roues. Alors on remet la plaque d’immat sur la ZX6R, on barre les numéros 14 pour la civiliser, et je retourne bosser…

Et la lumière fut…

Lundi, première séance d’essais, seul. J’attendais et redoutais ce moment. La joue encore chaude de la baffe de samedi, je voulais savoir quel effet ça me ferait d’avoir la route pour ma gueule, si la sensation d’être à une vitesse incroyable, voir trop vite, allait se reproduire. J’ai toujours détesté suivre et souder derrière le Marshall sans vraiment savoir où je mettais les roues n’a pas été une partie de plaisir.

Au milieu des 500 Norton, Honda et Paton, je me faufile jusqu’au départ, qui se donne deux par deux. C’est à moi. La route est à moi. Et la magie opère… Je passe Bray Hill sur un gros filet, reviens sur des classiques à Braddan Bridge, les double. Je me sens à l’aise, en train de réciter ma leçon, mais manquant encore de certitudes. Le droite d’Appledene, Greeba Bridge, la 600 souffle dans les sous-bois. Contrairement à toutes mes courses, je suis détendu, calme sur la moto, me forçant juste un peu pour ne pas oublier de respirer. Ça va vite. Je roule à ma main, enfile les virages tantôt à l’aise, tantôt méfiant dans ceux que je connais, mais qui ne me plaisent pas. 13th Milestone, une petite pensée pour Santiago Herrero qui a laissé la vie ici.

Je ressors pas trop mal, et me fait passer par une fusée blanche et bleue, sortie encore mieux : Julien Toniutti. Julien, c’est le mec qui sera tout le temps devant toi, mais que tu ne peux pas détester. Il va vite, il est propre, et en plus de te pourrir, il le fait avec classe, en étant dispo pour donner des conseils, et avec l’engouement du mec qui aime ce qu’il est en train de faire, qui vit lui aussi son rêve. Tu voudrais ne pas l’aimer pour te motiver à le pourrir, mais tu ne peux pas. Je le haime…

Un autre français qui m’a marqué en arrivant ici, c’est Fred Besnard. Humble, un brin timide, Fred a une fascination pour la course, une envie, à la fois de rouler vite et de se faire plaisir qui m’a scotché. Bon, peut-être un peu trop d’envie puisqu’il s’en mettra une petite à Sarah’s Cottage, mais qu’importe…
Il va bien, et même s’il y a eu du jet de meule et qu’il a gagné un tour en hélicoptère-ambulance, la lumière dans ses yeux quand il te parle du tracé vaut toutes les guirlandes de noël… Mais Julien est donc devant, à l’entrée de Ramsey. Je ne cherche pas à le suivre, même si je le tiens à vue un bon petit moment. Il sait où il va… Je roule, et c’est juste fantastique.

Une petite chaleur à May Hill, puis la montagne derrière un 500 Norton qui me montre les lignes et l’arrivée, avec un sacré bordel de motos à Governor’s Bridge. Chutes, tout droit, casses, la Manx qui rate une vitesse à la sortie, et c’est la ligne d’arrivée. J’espère faire un 2ᵉ tour, mais malheureusement le drapeau à damier tombe et je dois rentrer. Un mal pour un bien, car la moto pisse la flotte. J’ai dû prendre un caillou et le radiateur est percé. Si je faisais ce 2ᵉ tour, l’eau se serait vidée, et j’aurais pris le moteur dans les dents… Du bol !

Les deux billes effarées sous mon casque samedi ont laissées place à une banane indéboulonnable. Là, je me suis régalé, j’ai pris du plaisir, j’ai plané… C’était juste énorme. Avoir la liberté de faire ça, de rouler à des vitesses folles sur des routes sinueuses, dans des villages… Avoir cette sensation de contrôler, sentir la leçon en train de se dérouler, frôler un trottoir, faire un saut, un wheeling, tirer la 6ᵉ à fond… C’était bon. Cerise sur le gâteau, j’ai fait ce premier tour à 94,8 mph, soit 23 min 51sec, ce qui me qualifie pour la course de Newcomer, à la 30ᵉ place sur 38… C’est très loin des chronos de devant, mais je m’en fous, car je ne pensais même pas que je réussirais à franchir cette première barre !

Pour continuer à suivre les aventures de Momo au Tourist Trophy, rendez-vous à la partie 2 en suivant ce lien : L’AVENTURE DE MOMO AU TOURIST TROPHY – PARTIE 2

Par |Publié le : 1 avril 2022|1 Commentaire|

Partager cet article

Un commentaire

  1. Sylviane Lelong 2 avril 2022 à 15h29-Répondre

    Super vivant ce récit, comme tous les récits de Momo, c’est un régal, il ne nous manque que les odeurs pour qu’on s’y croie 👍

Laisser un commentaire