La semaine d’essais s’est terminée sur une note positive. Alors, le premier jour de course est abordé avec certaine confiance. Sauf qu’une petite nuit, peu changer beaucoup de choses au TT.
Matinée compliquée
Ce matin, il y avait warm-up, un dernier petit tour de chauffe pour vérifier que tout va bien. Sauf que tout ne va pas bien pour Xavier Denis, le pilote d’Optimark. Un problème de visière manquante. Ça a l’air bête comme ça, mais ce n’est pas anodin. Il en a de 3 teintes différentes, plus ou moins claires en fonction du soleil, mais aujourd’hui elles sont trop sombres pour bien voir la piste dans les parties sous les arbres, ou trop claires avec le soleil dans les yeux. Le problème finira par être réglé grâce à l’entraide entre Français dans le paddock.
Peu importe, Xavier arrive dans le parc fermé décontracté. Les mécaniciens sont un peu plus tendus. « J’essaie de bien mentaliser l’arrêt au stand, il y a beaucoup de gestes à effectuer en peu de temps », m’explique Gwen. 30 secondes d’arrêt pour remplir le réservoir de 24 litres de la Superbike, nettoyer ou changer la visière, vérifier que tout va bien et laisser repartir le pilote. Une opération qui se répète 2 fois sur les six tours de course. Les top teams poussent le vice jusqu’à changer la roue arrière à chaque arrêt.
Puis la troupe bascule sur la grid. La cinquantaine de pilotes se positionnent dans l’ordre du départ. Quand le signal est donné, chacun doit avancer au fur et à mesure que les premiers s’élancent. La scène est étonnante, le pilote marche casqué, à côté de sa monture. La moto Optimark se présente à son tour devant le starter, une main doucement posée sur l’épaule de Xavier, c’est tout le poids d’une semaine intense de travail pour en arriver là. Il démarre en trombe et l’équipe le regarde disparaitre au bout de la ligne droite direction Bray Hill.
Un goût bouchonné
François, Gwen, Romaric et Thierry (le papa de Xavier) filent se positionner dans les stands pour le ravitaillement. Ils n’auront même pas le temps d’enfiler leur cagoule. « Xavier est arrêté au bord de la piste ! ». Moment de stupeur. Pas le temps de comprendre, l’équipe retourne en courant dans le paddock où ils apprendront que le bouchon d’essence mal fermé, a mis un terme prématuré à leur course.
La déception est immense pour tous. On cherche à comprendre d’où vient l’erreur : qui, quoi, comment et surtout pourquoi. L’esprit d’équipe fait que chacun est prêt à endosser la responsabilité. On entend la course passer au loin, comme une torture auditive pour la troupe désabusée. Il faut attendre la fin de cette course qui n’est plus la leur, pour que Xavier revienne.
Frustration, colère et déception aussi pour le pilote. L’erreur vient de lui et il le reconnaitra tout de suite, s’excusant auprès de l’équipe. Le mécano qu’il est, n’a pu s’empêcher une dernière vérification, comme un réflexe et a mal refermé le réservoir. Lui qui semblait décontracté avant le départ, était peut-être plus anxieux qu’il ne le laissait deviner.
« Une péripétie de course les gars, personne n’est responsable et il ne faut incriminer personne », dit Jean-Marc, le team Manager d’Optimark, pour tenter de réconforter ses troupes. Il reste 5 courses, mais pour notre équipe de Frenchies, ce n’est pas la grande première espérée. Le goût bouchonné de la déception est noyé dans celui des cigarettes que les mécanos s’enfilent, en guise d’exutoire.
On peut toujours compter sur les Espagnols
Il y aura une bonne nouvelle aujourd’hui. Elle viendra du team satellite espagnol Commercial Olle, soutenue par Optimark. Raul Torraz Martinez termine la course 21e, une p*t** de belle performance, dit-on dans le jargon. Raul est accueilli à son retour comme un héros. « C’est un super résultat, parce que la Superbike c’est la course la plus importante derrière la Senior, le dernier jour. C’est là où les équipes engagent les meilleures motos, les plus chères ! », explique Angel, le team manager, qui est aux anges. (vous l’avez ?)
Raul et ses camarades ont pourtant souffert ces dernières semaines. Une course en Irlande du nord, à la North West 200 qui s’est très mal passée, une semaine d’essais remplie d’ennuis avec un radiateur percé la veille et un Raul coincé dans la montagne. Mais voilà, le dur labeur a fait tourner la chance et les Espagnols sont récompensés aujourd’hui
Les français pas mauvais
Dans le paddock, il y a quelques pilotes français. Julien Toniutti signe son retour au TT après quatre ans sans rouler sur l’île. L’objectif était d’arriver au bout et de retrouver des repères, et c’est déjà une première victoire engrangée : « les sensations sont là, les automatismes reviennent progressivement et je commence à voir mes temps descendre sous les 19 minutes ». Une course positive, même si Julien s’est fait une frayeur avec un autre concurrent. Au TT, le danger peut surgir à chaque instant, cette fois, c’était un simple rappel. Il faudra vite reprendre confiance pour les autres courses.
Dans le parc fermé, je croise Timothée Monot, du team TMR, lui aussi satisfait de cette première course dont il a vu le bout : « c’était long, j’en avais marre à la fin ! », dit-il en souriant. Il a terminé 27e sur les 28 qui ont fini la course, mais Timothée sait déjà ce qu’il peut améliorer pour aller plus vite, « ce n’est pas le physique, il faut que je me concentre vraiment. Là, je pense à pleins de choses, je regarde autour de moi, je regarde les gens qui me saluent, il faut que je me mette dans ma bulle ». Comme quoi, même à plus de 200 km/h de moyenne, certains ont le temps de faire du tourisme au Trophy.
Le side-car endeuillé
Estelle Leblond était remontée à bloc. Confiante après de bons essais, la pilote du side Optimark avait l’intention de mordre les fesses des premiers. Clément, son équipier, était très concentré sur la grille, soucieux d’être appliqué pour sa première et d’épauler comme il se doit le petit diable qui lui sert de pilote.
Le side-car, c’est une petite tribu dans le paddock. Tous se connaissent, les Français se donnent l’accolade et s’embrassent avant le départ. Un geste plein de respect et d’amour que je découvre, et qui va rapidement prendre une autre dimension.
Cette course-là, ne va pas dépasser le premier secteur. Les drapeaux rouges sortent immédiatement. Pas de panne ou d’erreur d’un concurrent, on ne sait pas trop ce qu’il se passe tout de suite, si ce n’est un panache de fumée noire qui s’élève au loin. Le pire est arrivé, un side-car a pris feu. C’est celui de l’équipage français, César Chanal et Olivier Lavorel. Équipage expérimenté en compétition, c’était leur premier TT. Olivier, l’équipier dans le panier est mort, César est à l’hôpital dans un état grave
Il est 16 heures et un silence étrange s’installe sur l’île de Man. Le paddock est en deuil, les Français pleurent l’un des leurs. Les petits problèmes de la course sont relativisés et oubliés, tous pensent désormais aux familles de César et Olivier.
Le TT a pris son tribut, le prix est fort, encore une fois.
Cet article a été écrit par Julien Muntzer: “Journaliste depuis 2010, j’ai d’abord été reporter pour France24 et TV5Monde avec beaucoup de voyages en Afrique. Mais comme je suis un peu farfelu et surtout obsédé par la moto depuis gosse, j’ai décidé de remonter en selle à la trentaine. La moto, c’est le fil rouge idéal pour vivre et raconter de belles histoires, en en prenant plein la gueule”.