Un mois d’avril, dans les années 90. Stéphane Chambon passe en wheeling sur sa Ducati, et 70 000 spectateurs (dont 58% portent une coupe mulet et une veste en jean sans manche par-dessus leur cuir) hurlent de bonheur. Magique. Dans mon perfecto taille 12 ans, je profite à fond de ces 24 heures du Mans avec mes yeux d’enfants. Ce que je ne donnerai pas pour être un jour de l’autre côté du grillage, bordel… Quelques années et quelques courses plus tard, le miracle a fini par arriver et le téléphone a sonné : « Salut Morgan, Hervé, KTM. Cherche un gars pour rouler au Mans. 23h60. Endurance. Avec un chapeau. Drôle. »

Enfin ! Mon incroyable talent, si bien caché, a fini par m’ouvrir les portes d’un guidon d’usine !!! Charge la bétaillère, direction le pays des rillettes !!!

8 américains

Arrivé sur la ligne de départ, personne. Enfin si, des loulous en rollers, venus de toute l’Europe sur le Bugatti pour ‘leurs’ 24 heures en patins. Mais merde, elles sont où les motos ? « Ah, ben s’il veut voir des motos ce week-end, il faut qu’il aille sur le circuit de karting le petit monsieur ! » me dit une Sarthoise qui sarthait par là. Le circuit de karting ? Merde…  On m’aurait menti ? Hélas non, mais comme tout bon empressé qui ne lit pas les petites lignes, c’est bien au 23h60 que j’avais rendez-vous. Le règlement était pourtant clair : 24 heures de course, des motos de 15 ou 25 chevaux selon les catégories, des équipes de 6 pilotes maxi, le tout pour une course qui sera sur le circuit de kart international et qui sera, le genre humain. Je ne vois pas rouge, mais presque…

Ravalant ma fierté et un Doliprane, rapport à mes évaporations alcoolémiques de la veille, j’entre dans la cour des petits avec une bonne demi-journée de retard. Aurélien, le boss d’SW Motech, est à la manœuvre. Habitué à vendre de la sacoche dans l’espoir de promener celles de sa moto un peu partout dans le monde, il me briefe rapidement : ” Bon, dans 30 minutes, c’est les essais. On a deux mécanos, Fouidon et Hervé Ricord, le boss. Tu verras, Hervé, il est sympa, mais ça se voit pas.”

La légende raconte qu’il aurait souri pour la dernière fois en 2003, sans raison apparente. Fouidon par contre, il est bizarre, on ne sait pas ce qu’il pense. En fait, on ne sait même pas s’il pense. Ensuite, en pilote, il y a un Youtubeur, Sushi Biker. On ne sait pas si c’est son vrai nom, mais dans le doute, on n’a pas osé lui demander. Puis Bruno Vezzuti, champion d’Europe de boxe américaine. Il est trop balaise, il m’fait peur, j’ai pas pu lui dire qu’il était trop volumineux pour monter sur la moto… Il y a son fils Julien, Vezzuti aussi. Lui, c’est l’horreur. Il est grand, musclé, calme, rapide, et si beau que j’ai hésité à crever les yeux de ma femme quand il est venu manger à la maison la dernière fois. Et Antoine qui fait du boudin chez Pirelli. Méfie-toi de lui et ne laisse pas trainer les clés de ton appart, c’est un coup à te retrouver avec des poules et des canards partout dans la maison. Pis y a moi. Ça va bien se passer. Voilà. “

Voilà. En vérité, Aurélien est super médisant. Je suis sûr que Fouidon est capable de penser…

Demi-molle et demi-guidon

A peine le temps de serrer la louche de tout le monde qu’il faut déjà sauter dans le cuir. Oh, je sens que je vais me marrer !!! Notre KTM RC 250 ne parait pas si frêle, et son gros cadre acier me rassure : celui-là, j’aurais du mal à le plier. Et je ne mets que peu de temps à le vérifier : 2ème séance d’essais, un excès d’angle et d’optimisme me fait goûter le goudron. Pouah, c’est toujours aussi dégueulasse ! Je jette un coup d’œil vers le muret des stands, où mes chers camarades doutent déjà du bien-fondé de ma participation.

Oui, bon, les essais, c’est fait pour essayer non ? Heureusement, Sushi essayera vachement plus que moi et ira vérifier les théories de Newton par deux fois, sous le regard émerveillé d’un Hervé Ricord heureux de faire de la mécanique dès le vendredi… Faut dire que le boss de la concess Compte-Tours Motos 83 s’est donné du mal pour l’épreuve, et que notre stand a vraiment la classe. Hélas, le tiroir abritant les tubes de guidon se vide plus vite que le réservoir, et il va falloir rapidement arrêter nos conneries si nous voulons aller au bout de ces 24 heures !

Parce que oui, cette course, c’est du sérieux. De magnifiques proto s’empilent dans les boxes, et les équipes n’hésitent pas à recruter des pilotes habitués au Bol d’or et au FSBK pour décrocher la timbale. Et crois-moi, ces gars-là ne sont pas venus pour s’amuser… De l’époque lointaine (parce qu’il est très très vieux) où Lolo avait mis en lumière cette course, les temps ont bien changé. Fini la 125 CBR préparée à l’arrache et la quille de rouge côtoyant le frein filet bleu sur le coin d’une table en plastique. La course à l’armement a fait rage ici aussi, et si l’organisation reste hyper bienveillante, sur la piste, c’est une autre histoire…

Pas d’épi mais tant pis !

Samedi, 14h30. J’espérais franchement voir Aurélien, mourant déjà de chaud dans son cuir, se taper ce fameux sprint vers notre machine affublée du n°183. Mais non, le départ se fait ici en ligne, comme en vitesse. Et au même rythme !!! Les leaders de la course, profitant d’une piste dégagée, s’en donnent à cœur joie. Deux machines descendront même sous la minute au tour, la 101 du team Guilmet, plusieurs fois victorieuse, et la 666 du Sic 27.

Mais bon, l’endurance, tu sais que c’est, une fois que les pilotes se rattrapent et commencent à se prendre des tours, tout le monde s’y perd et on se casse tous boire des bières au camping bleu… Sauf Hervé. Perché sur le muret, le boss scrute d’un œil sec les ronds d’Aurélien comme le mulot ceux de la buse. Plutôt joueur, le culot m’amuse de lui demander des nouvelles de ce boulot qui l’use. C’est alors que, telle une huître, l’épaisse coquille anthracite de mon voisin de gauche (vu qu’il n’y avait rien d’autre à droite que la priorité) s’ouvrit pour dévoiler un large sourire et cet interstice entre-émail, donnant à ses dents du bonheur une impression de ton sur ton.

À coups de répliques à la Audiard, de débats techniques et d’oranges mécaniques, j’ai découvert un mec d’enfer, exigeant avec lui-même comme avec les autres. Et ça tombait bien. Si j’étais venu pour me marrer, je ne voulais pas enfiler le cuir pour être caressé dans le sens du poil. D’une part, parce que ça m’excite et que je suis célibataire géographique ce week-end, mais surtout parce que je compte bien apprendre un maximum de choses sur cette course. Le cerveau libéré de la puissance à gérer, les tours s’enfilant plus vite que des bonobos sous amphétamine, l’endroit est idéal pour progresser. Avec plus de 25 tours par relai et 8 relais au total, il y a moyen d’apprendre, de comprendre, d’observer, et de ressortir un peu moins mauvais que je ne suis arrivé.

Rends-toi, Haquin !

A l’heure des travaux pratiques, je m’en sors moyennement. Gonflé par l’envie de bien faire, j’attaque à tout va sur la piste. Mais je trouve que je me fais vachement doubler quand même… Bordel ! Je suis pourtant en 25 chevaux, le châssis de la KTM est pourtant sans faille, mais y a pas – y a pas, je me suis plus fait déboité sur mes 30 minutes de relai que Katsuni sur l’ensemble de sa carrière !

De retour au stand, c’est Julien Vezzuti qui vole à mon secours : « C’est pas si mal, mais il faut que tu comprennes que pour aller vite avec ces motos, il faut conserver de la vitesse, avoir des trajectoires serrées, et super enroulées. Du beau pilotage, fin. Arrête d’attaquer, applique-toi, tu verras, ça marche ! ». Et le voilà qui prend le temps des explications qui vont bien, virage par virage. Ça me saoule, les mecs bien… Mais d’un seul coup, la magie opère. Bon, pas un grand tour de magie, mais quand même, hein. Les dixièmes s’effritent, je change quelques trajs, m’appuie un peu plus sur le Pirelli avant, et prend un pied fabuleux. Jusqu’à arriver taquin dans le cul d’Haquin. Christian Haquin.

Pour les jeunes et les amnésiques qui nous lisent, Christian Haquin, c’est une carrière plus vieille que moi, plus d’une cinquantaine de 24 heures (Bol d’or, Spa, Le Mans, …) cumulés, et des heures passées en selle à souder. Une légende de l’endurance, qui est là, devant moi, à 60 balais, à faire des ronds, encore des ronds sur sa Kawasaki. Je vais le manger. Oh oui, je vais me doubler Monsieur Haquin de ce pas, d’autant qu’il est en 15chevaux, lui ! Et ben j’ai essayé. Et ben j’ai pas pu…

Les mètres gagnés dans les deux petits bouts droits ne suffisaient pas, « Kiki » (son surnom au Macumba) se jouant des virages et des cordes à la perfection. Une vraie leçon de pilotage, poildecumétrique, et de passion : trouver son bonheur à 102 km/h en pointe, quand on a passé sa vie à essorer des Superbikes et à l’âge où il est de bon ton de feuilleter des catalogues de camping-car, moi je dis bravo. Et c’est bien sûr uniquement par respect que j’ai laissé ce grand homme fuir devant moi. Loin, loin devant moi…

Les étoiles filantes

Les visages de mes coéquipiers s’illuminant au fil des relais, j’ai peu à peu pris le pas de l’endurance. Enfermé dans la nuit, j’ai regardé la lune grossir depuis ma chaise longue qui me servait de lit. Une nuit à la belle étoile, sur un circuit, le rêve, non ? Sauf que, tout remplit de joie et d’amour (je vous ai dit que j’étais célibataire géographique ?), je n’ai pas pu trouver le sommeil… Alors, je suis allé trainer mes bottes percées le long du circuit.

Zizillant du pot de détente, bourdonnant des soupapes, la cinquantaine d’équipage ne lâche rien, tout comme les deux machines du team Motor Spirit, qui, pour éviter tous risques de propagation de la vie, a engagé sur deux motos bien séparées un équipage de fille et un autre de mecs. Bien évidemment, je ne suis pas allé voir les mecs. Elles s’appellent Marjorie, Cécile, Jade, Valéryane, Aurélie, et sont en train de s’envoyer à 5 ces deux tours d’horloge sur leur « petite » 125 cbr, sous la férule implacable du gars Guéguin qui guéguinise tout ce qui ne nécessite pas de pédaler depuis des années. Le mascara certes un peu coulant, les filles s’éclatent, et même pour de vrai, puisque Cécile finira à terre avec le bassin en trois après une percussion avec un autre pilote. Les 4 autres iront au bout de la course et d’elles-mêmes… Bref, des super nanas.

À l’autre bout de la pit-lane, Hervé Ricord enregistre (si t’as celle-là, c’est que t’es bilingue…) les chronos, commence à penser stratégie, les problèmes des uns ne perturbant pas la fiabilité de la nôtre. En cette mi-juillet, tout le monde s’y met, et Bruno, qui fait pourtant bien deux Sushis et demi sur la balance, empile les chronos avec la régularité d’un métronome. Pendant ce temps, le Pirelli boy, dont la bague au doigt est encore fraiche, s’applique dans ses trajectoires et se cache derrière la bulle dans les bouts droits. Ainsi donc, on peut dire que le mari Antoine, net, raccourci du buste à l’approche du 14 juillet…

Au moment de me tendre le guidon (au sens littéral du terme puisqu’il tenait la frêle KTM en l’air d’une seule main) j’ai pris conscience de la tâche qui m’incombait. Mes camarades avaient entrepris une folle remontée qu’il m’était interdit de gâcher. J’ai allumé les phares, et je me suis appliqué, sous la lune ardente. Chevauchant ma luciole flatulente, j’ai conservé le rythme diurne avec application sous le regard ébahi des spectateurs absents.

Le soleil vient de se lever

Je ne sais plus s’il faisait jour ou nuit lorsqu’un malheureux câble d’accélérateur est venu freiner notre ascension vers les sommets. Seule avarie en 1192 tours et 1649 km, on peut bien lui pardonner, à notre RC… D’autant qu’après la séance de poussette d’Aurélien (quel plaisir de le voir enfin courir !), j’ai essayé de tout donner pour aller chercher cette 12ᵉ place qui nous tendait les bras. Il faut dire aussi que l’ambiance était au top dans le team, que les bananes flambaient sous le casque pendant que Max et Florian établissaient les stratégies de ravitaillement, et que tout le monde se sortait franchement les doigts pour gagner du temps en en perdant le moins possible alors que le soleil pointait à l’horizon.

Seule ombre au tableau, notre manager adoré, puisque nous étions devenus un team, qui n’aime pas ce moment de la course et qui passait ses nerfs en arrachant frénétiquement les croûtes de la brioche qui accompagnait son café pour ne gober que cette partie croustillante et dorée. Car en effet, c’est bien connu : quand le soleil vient de se lever, la mie, Ricord, hait.

Mais à force de vouloir tomber les chronos, Hérvé vit l’art de faire tomber une moto. Je chute en effet au petit matin, sans trop de conséquences… Mais à coups de relais et d’amitiés naissantes, notre petite Katoche s’enquit définitivement de 12ᵉ place à l’heure dominicale fatidique où les damiers tombent et les Michel Drucker.

Fin de moi

Rotant ma rillette sur le chemin du retour après des embrassades franchement pas embarrassantes, je me mis au bilan pour ne pas m’endormir. Débarquer dans une équipe inconnue, avec un team manager réputé en acier trempé pour rouler vite avec des motos qui n’y roulent pas, est-ce VRAIMENT une occupation intelligente ? Eh bien oui, parce que d’une part ma détresse sentimentale a été compensée par la découverte de personnes vraiment chouettes (sauf Julien Vezzuti, les filles, qui sous air de James Bond du sud est un horrible personnage qui vole les bonbons aux petits enfants aveugles et pousse mémé dans les orties), et que d’un point de vue sportif, j’ai la sensation d’en avoir plus appris sur le pilotage qu’en une pleine saison de course.

Une vraie belle endurance. J’en profite au passage pour remercier tous ceux avec qui j’ai partagé ce moment tombé du ciel (je ne savais pas 10 jours avant que j’allais participer à cette course), équipiers, mécaniciens, team manager, SW Motech Pirelli et CTM 83, ainsi que la chouette Sushette présente aussi, la Sushette étant dans le Lyonnais la femelle du Sushi, ce dernier se mangeant uniquement après avoir été exposé au vent et au soleil, car nous le savons tous, le goût est bien meilleur quand les Sushi chont checs.

Pardon à tous, mais c’était trop bon…

Momo

Par |Publié le : 27 juillet 2022|2 Commentaires|

Partager cet article

2 Commentaires

  1. Hulin 29 juillet 2022 à 14h19-Répondre

    Les aventures de Momo Circus sur kap2cap
    Génial!
    Tu aurais pu finir cette aventure comme nous, à la poussette, tu aurais connu cet épice de l’endurance, (pire que la défaite l’abandon) après 23h de course notre petite KTM RC 125 en 15ch ne voulait pas aller plus loin, malgré les efforts des schtroumpfs du junior team Le Mans Sud , très heureux de t’avoir rencontré quand je suis venu demander de l’aide pendant cette dernière heure compliquée

  2. Bells 28 juillet 2022 à 16h06-Répondre

    Superbe plume, j’ai beaucoup ris (de veau). Un grand bonheur, merci et continuez comme ça!

Laisser un commentaire